Il fallait « voir si je pouvais convenir à ce monsieur »: Mounia, ancienne prostituée, a évoqué lundi à mots couverts Dominique Strauss-Kahn, à la veille de l’audition de ce dernier par le tribunal correctionnel de Lille dans le procès du Carlton.
Alors que l’ancien patron du FMI doit comparaître ce mardi devant le tribunal correctionnel de Lille, son nom a déjà été évoqué à plusieurs reprises dans les différents les témoignages entendus. (Photos : archives AFP)
« Pour vous, la relation sexuelle que vous devez avoir c’est avec Dominique Strauss-Kahn ? », demande le président du tribunal à la jeune femme. « Oui, avec personne d’autre », répond celle qui est aujourd’hui partie civile dans cette affaire.
« On vous le dit ? », insiste le président Bernard Lemaire. « Oui », répond-elle. « Il me dit qu’il est venu voir si je pouvais convenir à ce monsieur », raconte-t-elle à propos d’une entrevue préalable avec David Roquet, mettant ainsi à mal la stratégie faite de non-dits, de cet ancien entrepreneur en BTP, soupçonné d’avoir recruté des prostituées pour les soirées.
Les débats, lors de cette audience qui a entamé la deuxième semaine de ce procès pour proxénétisme, ont ainsi commencé à tourner autour de la place dans ces soirées de l’ancien favori socialiste pour la présidentielle, dont la venue à la barre, à partir de mardi, est très attendue.
Ça commence doucement, le président Bernard Lemaire s’emploie à démêler l’écheveau : René Kojfer, alors chargé des relations publiques de l’hôtel Carlton, présente à David Roquet l’avocat lillois Emmanuel Riglaire, qui lui a parlé de sa maîtresse, Mounia. C’est elle que David Roquet, alors patron d’une filiale d’Eiffage et qui souhaite approcher le puissant patron du FMI, emmènera à Paris, un après-midi du printemps 2010, et qui aura une relation sexuelle avec Dominique Strauss-Kahn dans un hôtel chic de la capitale.
Pour David Roquet, tout part de sa propre « solitude ». En costume sombre, cravate, chemise blanche, cheveux rasés, il semble faire un effort pour être précis. « Je lui (NDLR : Emmanuel Riglaire) fais part d’une maîtresse qui est partie, qui n’est plus là, je lui fais part de ma solitude. M. Riglaire me dit qu’il est avec une femme qui peut m’accompagner » dans des dîners d’affaires, explique David Roquet.
Le président Lemaire lui demande « Qu’attendez-vous (de Mounia)? » Réponse de David Roquet : « Qu’elle m’accompagne à une soirée, d’avoir des prestations sexuelles tarifées ». Mais dans le monde de David Roquet, on évite, semble-t-il, d’être trop direct, de parler d’argent ou de prononcer des mots tabous comme « prostituée » ou « escort ». « Elle pouvait se douter qu’elle allait avoir (un rapport) avec moi, avec d’autres. Enfin, rien de précis », déclare-t-il.
> « Un homme politique très connu »
Le président, derrière ses lunettes et son nœud papillon, prend un air faussement naïf. « On parle quand même un peu plus cru quand on organise une soirée de ce type ? », s’interroge Bernard Lemaire. « Non », répond David Roquet, sans s’émouvoir. Quelques minutes plus tard, Mounia, la mine renfrognée, donne une toute autre version de sa rencontre avec l’entrepreneur.
Rien de tel pour provoquer l’agacement d’Emmanuel Riglaire. Pourquoi, plaide-t-il, David Roquet aurait-il lancé le nom de DSK en pâture à Mounia, qu’il connaît « depuis cinq minutes », alors que d’autres anciennes prostituées, dont Jade, ont souligné que le nom de l’ancien directeur du FMI leur avait été soigneusement tu ? Quant à lui, il se défend d’avoir « servi d’intermédiaire » entre David Roquet et Mounia. Il ignorait les intentions de l’entrepreneur.
C’est au tour du procureur Frédéric Fèvre de jouer les naïfs, et d’interpeller Emmanuel Riglaire : « Comment expliquez-vous que M. Roquet (…) ait compris une chose, et que vous n’avez pas compris qu’il s’agissait de prestations rémunérées ? », feint-il de s’étonner. « Pour moi l’objectif était professionnel, entretenir le contact avec M. Strauss-Kahn. Donc j’appelais ça des soirées professionnelles », explique David Roquet, qu’Emmanuel Riglaire a qualifié d’ « ambitieux ».
« De mémoire, on avait évoqué la présence d’un homme politique très connu et donc il fallait être discret », se remémore-t-il au sujet de sa première discussion avec Mounia. Il la paie dans le taxi, au retour à Lille. 900 euros, Mounia en voulait 1 500. « C’était une petite soirée », justifie-t-il.
AFP