Accusées de tuer le commerce de centre-ville, de grignoter des terres agricoles et de favoriser le « tout bagnole », les zones commerciales n’en finissent pas de s’étendre en périphérie des villes. Et sont de plus en plus contestées.
« Un projet anachronique, dépassé », tacle le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard (PS). Près de Rennes, un projet de zone commerciale de 40 000 m² et 1 400 places de parking, dénommé « Open Sky », fait la quasi unanimité contre lui: élus de droite comme de gauche, Chambre de commerce, associations de défense de l’environnement, Confédération paysanne. Une pétition a réuni près de 7 000 signatures en quelques semaines contre ce projet qui doit grignoter 9 hectares de terres agricoles. Une aberration pour les écologistes alors que le réchauffement climatique menace de faire chuter les rendements agricoles.
« Banalisation des paysages »
Pourtant, quand Ikea s’était installé juste à côté en 2007, au bord de la voie express Rennes-Saint-Brieuc, il n’y avait « pas eu de problème », assure Paul Kerdraon, maire (divers droite) de Pacé. « Il y a une prise de conscience citoyenne plus forte qu’il y a quelques années », avance Matthieu Theurier, élu écologiste, en pointe sur le sujet. « La crise des gilets jaunes est liée à cette forme d’aménagement du territoire », estime-t-il. Jusque-là muet sur le sujet, le président de la métropole rennaise Emmanuel Couet (PS) a appelé début février à l’abandon du projet.
Des projets de ce type existent un peu partout en France. Dans les Alpes-Maritimes, un autre « Open Sky », de 100 000 m² (dont 60 000 m² de surfaces commerciales), a réuni 16 000 signatures contre lui et suscité les critiques du maire de Cannes David Lisnard (LR) qui a dénoncé sur Twitter « le grand n’importe quoi » et la « banalisation des paysages ».
Dans l’Hexagone, 5 millions de m² de surfaces commerciales sont en projet, dont 3 millions déjà autorisés et 85% en périphérie des villes, selon Procos, la Fédération du commerce spécialisé. « Il est grand temps de se poser des questions » sur ce genre de projet, estime Loïg Chesnais-Girard. « A court terme, cela peut rapporter du cash mais à long terme, cela détruit et abîme nos centres-villes. »
C’est le cas à Saint-Brieuc, où un commerce sur trois était vacant en mars 2018, selon un décompte du Journal des entreprises. Au regard de cette désertification, la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) a refusé fin décembre l’extension d’une zone commerciale en périphérie. « La CNAC veut envoyer un message aux enseignes pour leur dire: on ne peut plus faire n’importe quoi », explique Philippe Schmit, inspecteur général de l’administration du développement durable, et membre de la CNAC.
Les exemples des pays voisins
En 2018, cette dernière a ainsi refusé 65% des surfaces commerciales proposées (contre 51% validés en 2017), un « record absolu », motivé notamment par le lancement du plan gouvernemental « Action cœur de ville », qui vise à dynamiser le centre-ville de 222 communes moyennes. Mais le mouvement n’a pas touché les commissions départementales, qui continuent à approuver plus de 80% des projets, tandis que les maires sont seuls décideurs pour les magasins de moins de 1 000 m², soit la majorité des surfaces commerciales.
Quant aux promoteurs, ils privilégient la périphérie, où les terrains sont moins chers et les impôts souvent moins élevés. « Le commerce suit toujours les consommateurs et aujourd’hui la population est urbaine et périphérique », souligne Gontran Thüring, délégué général du conseil national des centre commerciaux.
Des pays européens, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont adopté des stratégies différentes afin de préserver leurs commerces en ville. Et « au Royaume-Uni, la loi donne la priorité à une implantation en centre-ville. Pour aller en périphérie, il faut d’abord démontrer que le centre-ville ne peut pas être restructuré », explique Philippe Schmit. La loi ELAN, promulguée en novembre, pourrait faire bouger les choses : elle donne le pouvoir aux préfets de geler les implantations de zones commerciales et complexifie le processus d’autorisation.
LQ/AFP