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Le Sénat supprime la pénalisation des clients de prostituées et rétablit le délit de racolage


Le Sénat, à droite depuis septembre, a supprimé dans la nuit de lundi à mardi la pénalisation des clients et rétabli le délit de racolage, points forts de la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la prostitution.

Les Sénateurs ont adopté par 165 voix pour et 44 contre le texte profondément modifié des députés socialistes, voté en décembre 2013 à l’Assemblée nationale. Il prévoyait initialement d’abroger le délit de racolage instauré par Nicolas Sarkozy et d’instaurer en contrepartie la pénalisation des clients. La commission spéciale du Sénat a modifié la donne en réintégrant le délit de racolage, pourtant décrié par les associations sur le terrain, et a rejeté la sanction des clients. Elle a été suivie par les sénateurs en séance.

Le texte devrait repartir en deuxième lecture à l’Assemblée. En cas de désaccord entre les deux chambres, ce seront les députés qui auront le dernier mot. « La navette continue », ont d’ailleurs souligné les députés socialistes Catherine Coutelle et Maud Olivier. « Notre détermination et notre confiance restent intactes, notre but reste le même: permettre aux quelque 90% de personnes prostituées victimes de la traite, dans leur immense majorité des femmes, de sortir enfin de ce véritable esclavage moderne ».

189 sénateurs, de droite, se sont prononcés contre l’instauration d’une contravention de 1.500 euros pour les clients des prostituées, et 107, essentiellement de gauche, pour.

Position abolitionniste

« L’interdiction d’achat d’actes sexuels doit être vue comme partie intégrante et nécessaire de la lutte contre le système prostitutionnel », a souligné Laurence Cohen (CRC). Pour Michelle Meunier (PS), il fallait « réaffirmer clairement la position abolitionniste de la France et permettre d’affirmer concrètement que nul n’est en droit d’exploiter la précarité et la vulnérabilité ni de disposer du corps d’autrui pour lui imposer un acte sexuel par de l’argent ».

Mais pour le président de la commission spéciale Jean-Pierre Vial (UMP), « la pénalisation des clients comportait plus de risques que de bénéfices. Il était dès lors logique de rétablir le délit de racolage ». Le délit de racolage a été rétabli par 162 sénateurs, 142 UMP et 19 UDI-UC, tandis que 161 ont voté contre: 12 centristes, et les membres des groupes socialiste, CRC (Communiste, républicain et citoyen), RDSE (à majorité PRG) et écologiste.

Pour Esther Benbassa (écologiste), les conséquences du délit de racolage « sont terribles pour les personnes prostituées ». « Il est tout bonnement impensable de rétablir ce délit qui a fait, en douze ans, la preuve de son inutilité en matière de répression des réseaux et de dangerosité à l’égard des personnes prostituées », a-t-elle poursuivi. En revanche, pour M. Vial, « les forces de l’ordre doivent avoir les moyens de remonter les réseaux ». « Sans l’établissement de ce délit, nous nous trouverions en état d’apesanteur », a-t-il estimé.

Pour sa part, la secrétaire d’État chargée des droits de la Femme Pascale Boistard a rappelé que « c’est le client qui crée la prostitution ». « Il a été choisi de ne pas faire de l’achat d’acte sexuel un délit mais une contravention de cinquième classe », a-t-elle rappelé. « Mais ce texte va au-delà du droit : il affirme qu’on ne peut acheter un corps. Et il renforce la lutte contre les réseaux ». La pénalisation des clients avait le soutien des associations prônant l’abolition de la prostitution (Mouvement du Nid, Fondation Scelles, etc.).

Mais des associations de prostituées (Strass, Bus des femmes, etc.) et d’autres qui leur viennent en aide (Act-up, Médecins du Monde) l’ont combattu, craignant de voir les prostituées poussées vers la clandestinité et encore plus à la merci des rares clients. Pour l’association féministe, les efFRONTé-e-s, le Sénat a décide de « criminaliser les personnes prostituées via le délit de racolage passif et de déresponsabiliser totalement les clients prostitueurs ».

Pour les associations, le délit de racolage institué en 2003 a surtout précarisé et stigmatisé les prostituées, victimes parfois de « harcèlement » et d’arrestations « abusives ». La proposition de loi prévoit aussi le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, une aide aux victimes et le développement d’alternatives à la prostitution, et une politique de prévention auprès des jeunes. En France, où la prostitution est légale, on estime à environ 30.000 le nombre de prostituées, dont une majorité d’étrangères, issues notamment d’Europe de l’Est, d’Afrique, de Chine et d’Amérique du Sud.

AFP