Système ingénieux de propagande ou escroquerie au préjudice de l’Etat ? La justice a achevé son enquête sur l’échafaudage mis en place par le FN pour ses campagnes de 2012, critiqué par d’anciens candidats en rupture de ban, qui dénoncent factures gonflées et gaspillage.
Au départ, l’organisation paraît simple: Jeanne, le microparti de Marine Le Pen, propose aux candidats frontistes aux législatives un prêt et leur vend un kit de campagne. Le prix ? 16.650 euros, plus environ 1.100 euros d’intérêts. La réalisation est confiée à Riwal, société prestataire du FN, dirigée par Frédéric Chatillon, connu pour avoir dirigé le GUD.
Au menu, une campagne clés en main, uniformisée « bleu marine », personnalisée avec nom et photo: journaux de campagne, tracts etc. Un service bien pratique pour des novices, expliquent d’anciens candidats. Mais un caillou a déréglé la machine, quand un frontiste s’est étonné auprès de la commission des comptes de campagne (CNCCFP) d’être remboursé de ses frais électoraux, alors qu’il n’avait rien signé.
L’État rembourse
Trois ans d’enquête, dix mises en examen plus tard, dont le FN, son trésorier Wallerand de Saint Just et un vice-président Jean-François Jalkh, les juges d’instruction soupçonnent le parti d’avoir conçu un système verrouillé: kits obligatoires et forfaitaires, facturés au prix fort par Riwal puis par Jeanne, sans tenir compte des besoins des candidats ni de la taille de la circonscription. Tout le monde y gagne sauf l’État, qui rembourse les frais au-dessus de 5% des voix.
« Le kit était pour ainsi dire obligatoire (…) une formalité passée inaperçue pour 99% des candidats »: Benoît Girard (Ardennes) avait pourtant été interpellé par les 1.800 euros pièce du site internet. « Le tir groupé, c’était justement pour faire baisser le prix ». Mais « les candidats autour de moi disaient 16.500 euros pour ça?« , témoigne Rémy Boursot, patron du FN en Côte-d’Or en 2012.
1.200 euros « pour un coup de tampon… »: Jean-Pierre Mouget (Jura), qui a claqué la porte en juillet, s’indigne lui du coût de l’expert-comptable. Il y avait chez lui, dit-il, « trois lignes par compte de campagne ». Une « escroquerie », résume Jean-Luc Manoury (Meurthe-et-Moselle), désormais à Debout la France. Un terme qui fait écho au délit retenu par les juges.
Le FN balaie les critiques. Le site internet? Son coût « n’est pas remis en cause par les juges », selon Wallerand de Saint Just. L’expertise comptable? Le prix d’un « professionnel » spécialiste du sujet, selon Axel Loustau, trésorier de Jeanne et… actionnaire de Riwal.
« En 2012 », la CNCCFP « n’a pas décelé de surfacturation évidente », a témoigné devant les juges d’instruction le président de la commission, François Logerot, selon une source proche de l’enquête. A ses yeux, un kit obligatoire peut relever de « la discipline de parti ». De plus, il remarque que la taille homogène des circonscriptions peut justifier l’idée d’un forfait.
Tracts à la « déchetterie »
Mais les pouvoirs de la CNCCFP ne lui permettaient pas l’accès aux factures des sous-traitants. Or, les enquêteurs ont fait une découverte étonnante: Riwal a sous-traité au FN la fabrication de milliers de tracts revendus à Jeanne, et in fine aux candidats. Pour les juges, la prestation a coûté 83.000 euros au FN (prix des photocopieurs compris), qui l’a pourtant facturée 412.000 euros à Riwal, selon une source proche de l’enquête.
Un avocat de Riwal répond que le calcul oublie les frais de main d’oeuvre. « Evaluation bidon », s’agace aussi le trésorier du FN, qui parle d' »une marge tout à fait normale ». Des soupçons de surfacturation portent aussi sur la présidentielle de 2012.
Les enquêteurs doutent de l’utilisation effective du matériel. Plusieurs candidats évoquent des envois très tardifs de tracts qui ont fini à la « déchetterie », selon M. Girard ou Dominique Morel (Puy-de-Dôme). « On a vendu six tonnes de papier après la campagne », abonde Marie-Anne Haas (Finistère), passée au Parti de la France.
« Un prétexte de mauvais candidats qui n’ont pas distribué les tracts » pour Wallerand de Saint Just. Il fustige des « assistés totaux: on a tout fait pour eux, ils n’ont pas eu à sortir un seul centime ».
Dans cette architecture, Jeanne a joué un rôle crucial, en s’intercalant entre Riwal et les candidats. Or, les enquêteurs soupçonnent le microparti d’être une coquille vide pour faire écran à Riwal et contourner l’interdiction de financement par les entreprises.
« En réalité, l’avance des fonds est faite par Riwal (…) Jeanne est un écran et une construction juridique artificielle », a relevé M. Logerot devant les juges, comptes à l’appui. Pour faire tenir ce système, Riwal a accordé un crédit fournisseur de plus de 8 millions d’euros à Jeanne, un abus de bien social pour les juges. Tandis que Jeanne est soupçonné d’avoir facturé aux candidats des intérêts d’emprunts sur des prêts fictifs. Intérêts partiellement remboursés par l’Etat au titre des frais de campagne.
Les juges devront décider s’ils renvoient ou non les protagonistes en procès.
Le Quotidien / AFP