Failles, incohérences, restrictions, humaines ou budgétaires, scenarii noirs: le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de Paris, dans ses annexes publiées mardi, souligne les difficultés passées et à venir pour lutter contre la mouvance jihadiste en France.
JIHADISME OU PSYCHIATRIE?
La radicalisation explose: « quelques dizaines de cas en 2014, 476 au début de l’année 2015 et 3.600 aujourd’hui », énumère Jérôme Léonnet, le chef du service central du renseignement territorial (SCRT). Parmi les « cocktails » ravageurs, celui associant la fragilité mentale, « diagnostiquée ou non », à la radicalisation. Sur les 700 à 800 personnes radicalisées considérées comme dangereuses, « 150 » relèvent ainsi du domaine psychiatrique, remarque-t-il. Médecins et agences régionales de santé doivent selon lui « donner l’alerte » quand des patients cessent leurs soins tout en « développant une terminologie religieuse ».
POLITIQUE PÉNALE A REVOIR?
La politique pénale française doit évoluer afin de « criminaliser ce qui relève aujourd’hui du délit » en matière terroriste, estime Didier Le Bret, coordonnateur national du renseignement, rattaché au chef de l’Etat. Les 300 personnes mises en examen dans ce cadre, si elles sont condamnées, encourent des peines maximales de dix ans, ce qui revient en pratique à sept ou huit ans, trois ans compte tenu des remises de peine, relève-t-il. Et d’ajouter: « pour le dire très clairement, 80% au moins des personnes actuellement détenues pour des actes de terrorisme vont être libérées au cours des cinq années à venir, soit plus de 70 individus au cours des deux prochaines années ».
MANQUE DE MOYENS
La direction du renseignement à la préfecture de police de Paris (DRPP), c’est aujourd’hui 870 fonctionnaires, dont 123 s’occupent de lutte antiterroriste. Son budget pour 2016, hors salaires: 980.000 euros, affirme son patron, René Bailly, devant la commission. Et de pester devant le manque de moyens: « c’est plutôt ça qui devrait vous choquer! »
EXPERTISE A RENFORCER
La sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), la section renseignement de la gendarmerie, outre un budget « modeste », déplore des moyens humains « comptés », dixit son numéro 2, le général Pierre Sauvegrain. Seuls deux de ses 540 analystes sont arabisants, quand 35% à 40% de l’activité de la SDAO a trait à la lutte contre l’islam radical. « C’est peu ! Vous avez une belle marge de progression », ironise le député LR Pierre Lellouche. « En matière de connaissance de la langue arabe et de la culture de l’islam, nous avons une marge de progression », acquiesce le général Sauvegrain.
UNE NÉCÉSSAIRE « RÉSILIENCE »
Face à la menace jihadiste, une lutte de « très longue haleine », la France doit avant tout s’armer « moralement », estime Bernard Bajolet, le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE). Et de citer vingt attentats déjoués par ses services hors de France depuis janvier 2013, dont douze visaient des intérêts français et huit des cibles occidentales, pour 51 autres opérations antiterroristes. « Cela me rappelle les +années de plomb+ qu’ont connues des pays tels que l’Italie », observe-t-il. « La question de la résilience de la société française se pose. »
LA CRAINTE DE VÉHICULES PIÉGÉS
Patrick Calvar, le patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), est « persuadé » que les jihadistes « monteront en puissance » en passant au stade » des véhicules piégés et des engins explosifs ». « Dès qu’ils auront projeté sur notre territoire des artificiers, ils pourront éviter de sacrifier leurs combattants tout en créant le maximum de dégâts », craint-il.
Le Quotidien / AFP