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Discrimination envers des Chibanis marocains : la SNCF condamnée


Les "dispositions légales en vigueur (...) excluent, aujourd'hui encore, l'embauche au statut SNCF de ressortissants de pays non membres de l'Union européenne", se défend la SNCF. (photo AFP)

« Aujourd’hui on se sent cheminot à 100% »: après des années d’attente, plusieurs centaines de Chibanis marocains, embauchés par la SNCF dans les années 70, ont obtenu gain de cause. La compagnie ferroviaire a été condamnée lundi pour discrimination et pourrait devoir verser 150 millions d’euros.

Après pour certains dix ans de procédure, l’immense majorité des 832 cheminots de nationalité ou d’origine marocaine estimant avoir été lésés dans leur carrière et leur retraite ont obtenu satisfaction devant le Conseil de Prud’hommes de Paris. La plupart ont été embauchés comme contractuels, pas au statut particulier des cheminots.

Les dommages et intérêts allant de « 150 000 à 230 000 euros » par personne, selon Abdelkader Bendali, professeur marocain au côté des plaignants, l’affaire pourrait coûter à la SNCF autour de 150 millions d’euros. La SNCF est condamnée pour « discrimination dans l’exécution du contrat de travail » et « dans les droits à la retraite ».

Les décisions ont été livrées aux avocats, par piles, en présence de quelque 150 personnes. Après avoir ouvert un premier jugement, l’avocate des « chibanis » (cheveux blancs en arabe) Clélie de Lesquen s’est tournée en relevant les poings. Le silence a laissé place aux applaudissements et aux cris: « Vive la République, vive la France, vive la justice! » Émus, les cheminots sont restés plus d’une heure dans la salle à partager leur joie.

Ahmed Katim, porte-parole de l’association rassemblant les plaignants, était en larmes: « C’est une énorme satisfaction, la dignité pour les Marocains » et « la fin d’un combat de 15 ans » pour faire reconnaître plusieurs dizaines d’années de discrimination, a-t-il dit. Le professeur Bendali a salué une « immense satisfaction, une reconnaissance morale ».

La SNCF a un mois pour contester les jugements après leur notification, prévue fin octobre. « On se laisse le temps de l’analyse avant de faire éventuellement appel », a réagi un porte-parole du groupe.

La SNCF estime avoir appliqué la loi

La compagnie ferroviaire, qui a souligné dans un communiqué « la valeur de l’engagement de ces salariés au service du développement ferroviaire de notre pays », considère n’avoir fait « qu’appliquer la loi », a-t-il ajouté. Les « dispositions légales en vigueur (…) excluent, aujourd’hui encore, l’embauche au statut SNCF de ressortissants de pays non membres de l’Union européenne », rappelle la SNCF.

Engagés comme contractuels, donc avec un CDI de droit privé, ces agents à la retraite, ou proches de l’être, n’ont pas pu – pour la plupart – accéder au statut particulier des cheminots, plus avantageux, relevant d’une caisse de retraite spécifique. Une centaine de plaignants, naturalisés, ont pu y accéder mais en perdant leur ancienneté. SUD-rail, seul syndicat à avoir soutenu la cause des Chibanis, s’est « félicité » de cette condamnation et a réclamé de nouveau « l’abolition de la +clause de nationalité+ responsable de ces discriminations ».

Mohamed Ben Ali, 65 ans, encore en activité, a confié « se sentir aujourd’hui cheminot à 100% ». « C’est une grande chose: ils reconnaissent la différence que la SNCF a faite entre nous et les Français ». De son côté, Abdelhadi Fedfane, 66 ans, entré comme contractuel en 1974, parti à la retraite en 2010 « cassé des pieds à la tête » se dit « très heureux » même si cela « ne répare pas ma santé ». « D’autres sont morts », rappelle-t-il. Dans la salle, quelques veuves étaient présentes. « On formait les jeunes mais on restait auxiliaires, ils nous disaient +Vous n’avez droit à rien+, ça cassait le moral », se souvient-il.

Les 832 requêtes avaient été examinées en mars après moult renvois. Les plaignants réclamaient chacun en moyenne 400 000 euros de dommages et intérêts. Parmi les « déboutés » figurent quelques dossiers prescrits et ceux d’une dizaine de travailleurs détachés par les chemins de fer marocains.

La SNCF a recruté environ 2 000 Marocains dans les années 70, en vertu d’une convention signée en 1963 entre la France et le Maroc fraichement indépendant devant garantir « l’égalité des droits et de traitement avec les nationaux », rappelle l’Association des travailleurs maghrébins de France .

 

AFP / S.A.