Pour la première fois depuis 13 ans, la croissance française devrait dépasser cette année celle de son voisin allemand, plus exposé au commerce mondial. Accident de parcours ou prélude à un rééquilibrage économique entre les deux poids lourds européens ?
La situation est devenue suffisamment rare pour être signalée : selon l’OCDE, la progression du produit intérieur brut pourrait être en 2019 près de deux fois moins élevée en Allemagne qu’en France, à 0,7% contre 1,3% dans l’Hexagone. Selon la Commission européenne, la différence entre les deux pays serait plus faible : pour l’Allemagne, l’exécutif européen anticipe une croissance de 1,1%, tandis que pour la France, il s’attend à une progression de 1,3%.
Quel que soit l’écart final, « on n’avait pas vu ça depuis 2006 », a souligné François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, en commentant la semaine dernière les perspectives économiques de la zone euro.
Principale explication : les tensions commerciales internationales, l’industrie outre-Rhin étant davantage que celle de la France à la merci d’un relèvement des droits de douane américains, dont Donald Trump agite régulièrement la menace, ainsi que d’un ralentissement de la demande chinoise. En 2017, les États-Unis étaient le premier débouché des produits allemands et la Chine le troisième, selon l’institut officiel allemand Destatis.
La France résiste mieux aux aléas
Plus généralement, l’Allemagne a accru au fil des ans sa dépendance aux exportations qui comptent désormais pour 47% de son produit intérieur brut, contre 31% pour la France, selon la Banque mondiale. Pour Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas, la France, dont l’économie est moins ouverte que celle de l’Allemagne, est moins exposée à la conjoncture internationale. « Ce qui est souvent présenté côté français comme un handicap pourrait être un avantage », relève l’analyste, qui se demande si « le modèle allemand a trouvé ses limites ».
Même au-delà de l’aspect purement commercial, « il est de plus en plus difficile d’expliquer le marasme industriel actuel en Allemagne seulement par des facteurs temporaires », comme la nouvelle norme d’émissions sur les automobiles entrée en vigueur en septembre dernier, souligne aussi Carsten Brzeski, économiste chez ING, qui pointe le faible degré de numérisation ou encore des investissements insuffisants.
Pour la France, les aléas internationaux pèsent moins. « L’économie française résiste mieux à ce ralentissement, à ce trou d’air », selon François Villeroy de Galhau, qui explique également la résilience de l’économie hexagonale par le pouvoir d’achat injecté « y compris à cause du paquet de mesures d’urgence décidées au mois de décembre à la suite des gilets jaunes ». Elle a par ailleurs « créé, entre 2016 et 2018, 770 000 emplois nets : c’est une performance qu’on n’avait pas vue depuis longtemps », a souligné le gouverneur.
L’Allemagne a une « grande marge de manœuvre »
Mais si le ralentissement se confirme, Berlin a la capacité de procéder à une relance massive, ce que ne pourra pas faire Paris. En Allemagne, la dette publique devrait retomber cette année sous la barre des 60% du PIB, après avoir atteint 80% en 2010. En France, la dette pourrait frôler les 100% du PIB, soit 40 points de plus, alors qu’elle était voilà 10 ans au même niveau qu’outre-Rhin.
« L’Allemagne dispose de ressources importantes. Il n’y a pas d’inquiétudes à son sujet », souligne un responsable de la Banque centrale européenne. En mettant de côté les incertitudes extérieures du moment, le « plus gros joker » pour la croissance allemande demeure « l’investissement », pour permettre à la « décennie en or » de se poursuivre, selon Carsten Brzeski.
D’autant que Berlin dispose d’une « grande marge de manœuvre » pour envisager des mesures de relance budgétaire, souligne-t-il. En effet, le pays a affiché en 2018 le cinquième excédent d’affilée de ses comptes publics avec à la clé un record depuis la réunification en 1990, à 59,2 milliards d’euros. « La Commission européenne a invité les pays qui ont une marge de manœuvre budgétaire, comme l’Allemagne, à l’utiliser de la manière qu’ils estiment la plus appropriée », a rappelé lundi Benoît Coeuré, membre du directoire de la Banque centrale européenne, dans un entretien accordé au quotidien italien Corriere della Sera. Mais ceux qui n’ont pas de marge « ne devraient pas faire comme s’il en avait », a-t-il ajouté, citant le cas de l’Italie… mais aussi de la France.
LQ/AFP