« Submersion », « invasion planifiée », « chaos de l’asile »: du nord au sud de l’Europe, l’extrême droite déroule un discours bien huilé, exploitant les peurs liés à l’arrivée d’un demi-million de migrants dans l’Union européenne depuis janvier, avec l’espoir d’en tirer un profit électoral.
Malgré des nuances, « leur attitude consiste globalement à mener un combat sémantique pour dire que les gens qui arrivent ne sont ni des réfugiés ni des migrants, mais des envahisseurs », souligne le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de la droite radicale.
En France, la présidente du Front national, Marine Le Pen, fustige ainsi « des clandestins devenus exigeants et arrogants », assurant que les trois quarts ne sont pas des réfugiés mais des gens venus chercher « des prestations sociales ». Certains cadres des Démocrates de Suède (SD) ont même accusé le père d’Aylan, l’enfant syrien moyé dont la photo a ému le monde, d’avoir voulu se rendre dans leur pays « pour se faire soigner les dents gratuitement ». Pour Jean-Yves Camus, « ce qui fait la radicalité des discours, c’est que les exilés sont musulmans » et, dans la rhétorique de l’extrême droite, ils mènent une sorte de croisade contre les « traditions chrétiennes » de l’Europe.
Fidèle à lui-même, le député néerlandais Geert Wilders du Parti de la liberté a ainsi comparé la crise migratoire à une « invasion islamiste » qui menace « la sécurité, la culture et l’identité » de l’Europe. Ce discours n’a rien de neuf, mais il porte davantage dans le contexte actuel car « le phénomène migratoire entre en résonance avec le phénomène Daesh », relève M. Camus.
« Quand le FN et le Vlaams Belang belge disent qu’ils sont hostiles à l’immigration musulmane, cela n’a rien de nouveau. Mais quand ils organisent un grand colloque à Bruxelles trois semaines après l’attaque du Thalys, ça a une autre gueule », ajoute-t-il en référence à l’attaque avortée menée par un jihadiste marocain dans un train Amsterdam-Paris, fin août.
L’extrême droite a prospéré en Europe ces dernières années grâce à la conjonction de la crise géopolitique ouverte par les attentats aux Etats-Unis du 11 septembre 2001 et de la crise financière de 2009, rappelle l’historien Nicolas Lebourg. « Avec l’ajout d’une troisième crise, migratoire, ils devraient faire des cartons », prédit-il. « D’autant que l’immigration reste leur coeur de métier ».
Pour la première fois le 20 août, les démocrates de Suède ont en effet été placés en tête d’une enquête d’opinion. En Belgique, le Vlaams Belang bénéficie de 9,7% d’intentions de vote en Flandre, contre 7,9% en mai.
Selon un sondage récent, 34% des Français disent se sentir proches des vues de Marine Le Pen sur la question migratoire. Et, pour la première fois, son parti, le Front national, pourrait arriver à la tête de plusieurs régions lors d’élections en décembre. Un scrutin local est également prévu à Vienne et à Sofia d’ici la fin de l’année. L’ampleur des gains de l’extrême droite dépendra « de l’offre politique » face à eux, souligne Nicolas Lebourg.
Au-delà des urnes, la crise des migrants permet aussi à la droite radicale d’occuper l’espace public, souligne Jean-Yves Camus. Les rassemblements les plus importants ont été organisés l’hiver dernier par le mouvement Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident), qui a manifesté chaque lundi à Dresde, dans l’est de l’Allemagne, jusqu’à rassembler 25 000 personnes le 19 janvier.
Mais le mouvement s’essouffle depuis le printemps, alors que plus de 60% des Allemands sont largement favorables à l’accueil des migrants selon différents sondages. La découverte d’un camion avec les cadavres de 71 migrants fin août en Autriche puis la photo d’Aylan ont suscité une vague d’empathie pour les exilés, que certains leaders populistes ont pris en compte.
L’Italien Matteo Salvini, qui utilisait exclusivement le terme « clandestins » jusqu’ici, s’est dit prêt à accueillir un réfugié « qui fuit vraiment la guerre » dans son deux-pièces à Milan. Avant de s’empresser d’ajouter que, s’il devait choisir entre « un musulman et un chrétien », il donnerait « la préférence au chrétien ».
AFP / S.A.