Comptes cachés, montages complexes et mensonges répétés: le procès en appel de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac, condamné à trois ans de prison ferme pour fraude fiscale et blanchiment en 2016, s’est ouvert lundi à Paris.
Cette fraude de l’ancien héraut de la lutte contre l’évasion fiscale restera comme le plus retentissant scandale du mandat de François Hollande.
Précédé d’une nuée de journalistes, Jérôme Cahuzac, 65 ans, chemise blanche ouverte et sobre veste noire, est arrivé à la cour d’appel escorté de ses avocats, Eric Dupond-Moretti et Jean-Alain Michel.
Jusqu’au 21 février, l’ancien député socialiste du Lot-de-Garonne, devenu un paria de la politique, devra répondre à nouveau de fraude (2010-2012) et blanchiment (2003 à 2013), une faute « d’une exceptionnelle gravité » pour laquelle le tribunal correctionnel l’a condamné le 8 décembre 2016, outre la prison, à cinq ans d’inéligibilité. Sans amende, les époux Cahuzac s’étant acquittés d’un redressement majoré d’environ 2,5 millions d’euros.
Pourquoi avoir fait appel?, a demandé d’emblée le président Dominique Pauthe. « J’éprouve un sentiment assez banal, la peur. La peur d’aller en prison, j’imagine comme tout le monde… Je reconnais les faits. J’ai décidé d’interjeter appel d’abord en pensant aux miens », dit l’ancien ministre.
L’enjeu pour Jérôme Cahuzac est d’éviter la prison. Une confirmation du jugement l’enverrait derrière les barreaux alors qu’une peine égale ou inférieure à deux ans d’emprisonnement ouvrirait la possibilité d’un aménagement de peine.
« Electrochoc salutaire »
Il y a cinq ans, le scandale de l’annonce de son compte caché en Suisse avait fait trembler le gouvernement avant d’entraîner « un électrochoc salutaire » comme l’a souligné l’ONG Transparency International, avec la création d’un parquet national financier et d’une agence anticorruption.
Devant la cour d’appel, l’ex-élu est seul face à ses juges, avec l’ex-avocat genevois Philippe Houman, « cheville ouvrière » du transfert des avoirs de Suisse à Singapour, condamné à un an de prison avec sursis et à l’amende maximale de 375 000 euros.
Les autres protagonistes de l’affaire ont renoncé à faire appel: l’ex-épouse de Jérôme Cahuzac, Patricia Ménard, condamnée à deux ans de prison ferme, la banque genevoise Reyl (amende maximale de 1,875 million d’euros) et son patron François Reyl (un an avec sursis et 375 000 euros d’amende).
C’est aussi un « drame personnel » qui revient devant la justice: « Il y a eu de sa part une espèce de double personnalité (…) il a menti les yeux dans les yeux à tout le monde », a commenté son ancien camarade socialiste Pierre Moscovici sur France 2.
Le premier procès a mis en lumière un chirurgien de talent saisi du virus de la politique, un ministre brillant, mais aussi la fuite en avant d’un fraudeur au nom de code « Birdie » qui se fait remettre dans la rue des liasses de billets.
Quand, en décembre 2012, le site d’informations Mediapart révèle que le ministre du Budget a un compte en Suisse, Jérôme Cahuzac commence par nier. Il finira par démissionner le 19 mars 2013, puis avoue le 2 avril.
Le procès a aussi mis à nu les secrets bancaires d’un couple dans la tourmente. Dans les années 90, il fallait placer l’argent qui coulait à flot de la florissante clinique d’implants capillaires gérée par les époux. Ce sera plutôt la Suisse pour lui, l’île de Man pour elle.
Leur patrimoine global dissimulé est estimé à 3,5 millions d’euros. L’argent s’est retrouvé à hauteur de 600.000 euros sur le compte suisse de Jérôme Cahuzac, transféré en 2009 de Genève à Singapour, à hauteur de 2,7 millions d’euros sur le compte de l’île de Man géré par Patricia Cahuzac, et pour près de 240 000 euros de chèques versés sur les comptes de la mère de l’ex-chirurgien.
A l’audience, Jérôme Cahuzac, avait avancé l’explication surprise d’un financement politique, affirmant que le premier compte en Suisse était destiné à financer le courant de feu Michel Rocard. Une « hypothèse du trésor » du courant rocardien sèchement écartée par le tribunal.
Devant la cour d’appel, les compteurs sont remis à zéro et le pari toujours risqué: pour fraude fiscale, une peine allégée pour l’héritière de la maison Nina Ricci en mai 2017, mais alourdie pour l’ex-secrétaire d’État Thomas Thévenoud fin janvier.
Le Quotidien/ AFP