Bébés morts-nés puis dissimulés ? Déni de grossesses suivi d’infanticides multiples ? L’enquête s’annonce « particulièrement lourde et délicate » pour tenter d’élucider la découverte macabre effectuée la veille dans une maison de Louchats (Gironde) où les corps de cinq nouveau-nés ont été trouvés par les gendarmes dans un sac isotherme et un congélateur.
La maison où ont été retrouvés cinq corps de bébés à Louchats, en Gironde, le 20 mars 2015. (Photo : AFP)
C’est le père, ouvrier agricole de 40 ans, qui a donné l’alerte jeudi matin après avoir découvert chez lui le corps d’un bébé dans un sac isotherme. L’autopsie a révélé que « le bébé de sexe masculin est né viable » mais « on ne peut pas dire encore si c’était une naissance à terme, et des analyses devront déterminer s’il a vécu après l’accouchement » qui s’est produit mardi soir, a indiqué vendredi lors d’une conférence de presse le procureur de la République adjoint de Bordeaux, Anne Kayanakis.
« Il n’est pas mort-né. La question est de savoir s’il a vécu », a-t-elle précisé. « Il faut des investigations complémentaires pour déterminer s’il a respiré après l’accouchement, ce qui peut avoir une conséquence sur la qualification des faits. » Les autopsies des quatre autres nouveau-nés découverts dans un congélateur auront lieu samedi.
Après la découverte des faits, les époux ont été placés en garde à vue. Orientée vers le CHU de Bordeaux pour des examens, la mère a été ensuite dirigée vers un centre psychiatrique et sa garde à vue, incompatible avec son état de santé, a été pour l’heure levée. Pour sa part, le père a « fait état de sa surprise » et « manifesté un certain abattement », mais l’enquête n’a pas encore permis de savoir s’il était au courant de cet accouchement et de la présence des quatre autres nouveau-nés dans le congélateur. Sa garde à vue a été prolongée de 24 heures vendredi matin.
Une information judiciaire, qui sera ouverte samedi, « devra établir la part de chacun. Pour l’heure rien n’est établi », a souligné Mme Kayanakis. « C’était des gens qui n’avaient pas attiré d’attention sur eux. A priori elle paraît être la mère de ces enfants. Il reste à déterminer les circonstances de leur naissance, de leur décès, de leur dissimulation (…) Des expertises sont aussi nécessaires pour établir la filiation exacte des enfants, nous ne devons écarter aucune donnée », a ajouté le procureur.
> Grossesse inaperçue ?
A Louchats, le drame suscitait une vive émotion dans la population de cette tranquille bourgade agricole de 700 habitants, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Bordeaux, dans la forêt des Landes, où la plupart des villageois faisaient part de leur étonnement. « Je ne les connaissais pas très bien mais c’étaient des voisins sans histoires, je suis choqué par cette affaire », déclare Michel Olivier, retraité qui habite la maison située en face de celle du couple. « Lui, c’était un garçon charmant, très vaillant ». « Elle, on la voyait pas très souvent, je ne l’ai jamais vue enceinte! C’est pour ça que j’ai été surpris ».
« On est tous choqués, c’est un petit village, tout le monde se connaît », explique une villageoise. La famille, qui se compose en outre de deux filles âgées de 14 et 17 ans, n’était pas connue des services judiciaires ni de l’assistance éducative du juge des enfants, a souligné le procureur. De nombreuses zones d’ombre subsistent dans cette affaire, notamment sur le fait de savoir si la grossesse de la mère, âgée de 35 ans et employée chez un pépiniériste, décrite par beaucoup comme menue et « toute maigrichonne, à peine 50 kg », a pu passer inaperçue.
« Je l’ai vue à une fête il y a trois semaines », affirme à l’AFP un proche du père. La femme présentait-elle des signes de grossesse? « Rien, rien du tout! » répond-il, ajoutant: « C’est triste pour elle, c’est surtout elle qui est à plaindre. » Si elle est confirmée, il s’agirait de la plus grave affaire d’infanticides en France depuis 2010, avec la découverte de huit bébés tués à Villers-au-Tertre (Nord) par leur mère, Dominique Cottrez. Cette aide-soignante attend en liberté d’être rejugée, la Cour de cassation ayant annulé son renvoi devant une cour d’assises. Dominique Cottrez affirme avoir agi parce qu’elle était persuadée que ses enfants étaient nés d’un inceste dont elle avait été victime.
L’affaire de bébés congelés la plus médiatisée avait éclaté en 2006, quand Jean-Louis Courjault, ingénieur expatrié à Séoul, en Corée du Sud, avait découvert les corps de deux nouveau-nés dans son congélateur. Sa femme, Véronique, écrouée à Tours, avait alors avoué un autre infanticide, en 1999, en Charente-Maritime. Elle a été condamnée à huit ans d’emprisonnement en juin 2009 et libérée en mai 2010.
L’affaire avait mis en lumière un phénomène jusqu’alors peu connu du grand public: le déni de grossesse.
AFP