À 7 545 kilomètres d’Esch-sur-Alzette, l’Académie Fola, basée à Abidjan, regarde avec des grands yeux son partenaire européen, à qui il a envoyé un joueur à l’essai cette semaine. Récit d’une amitié née d’un heureux hasard.
Jean-Yves Kouakou savait qu’il allait faire un peu plus froid en Europe qu’à Abidjan, mais c’est quand il a mis les pieds à Paris, samedi dernier, qu’il a pris la mesure qu’on passe rarement de 34°C à 6°C sans subir un petit choc thermique. «Je pensais que les vêtements que j’avais choisis allaient pouvoir supporter la fraîcheur.» C’était la première fois que ce longiligne jeune homme de 18 ans prenait l’avion, et comme aucun de ses sept autres frères et sœurs – tous plus vieux que lui – ne l’ont jamais pris, il était un peu perdu. Mais il avait déjà tout gagné.
Comment ce prometteur milieu offensif a pu passer la semaine à Esch et arriver en connaissant tous les joueurs de l’effectif («Ah Bensi…»), les résultats et le palmarès du club ? Par un heureux hasard comme la vie en offre encore parfois.
Le «Fo» de Fofana, le «La» de Laurent
En 2012, Gilbert Goergen reçoit un mystérieux coup de fil. «M. Fofana m’a appelé pour me dire qu’il crée une académie qui s’appelait Fola il voulait savoir s’il avait le droit d’utiliser notre nom», se souvient le vice-président eschois. Refroidi par une vieille expérience avec un club kényan qui avait mal tourné, Goergen se renseigne sur cette école de foot ivoirienne et se rend vite compte de la bienveillance de la démarche. Il donne son feu vert à Dopiemin Fofana, directeur technique et coach à l’académie.
C’est d’ailleurs pour le «FO» de «Fofana» que le centre de formation s’est baptisé «Fola». L’autre moitié, est le «LA» de Laurent Kouamé, président de l’académie. Ni l’un ni l’autre n’ont eu de grandes carrières de footballeur, mais sont des éducateurs passionnés et dévoués. À l’origine, ils bossaient tous les deux à l’AST Foot (Académie des Sciences et Techniques), un autre centre de formation devenu poussière dès lors qu’un de ses dirigeants a pris la fuite en vidant les caisses. «Il a pris l’argent de nos parents et on ne l’a plus jamais vu», synthétise Jean-Yves Kouakou.
Dès lors, à Yopougon, une des treize communes d’Abidjan réputée pour ses restaurants et sa vie nocturne, il n’y a plus que deux options : profiter de la nuit ou repartir de zéro. Quand Fofana et Kouamé lancent l’idée d’une nouvelle académie, les familles trahies par l’ancienne direction sont réticents, quand bien même l’académie est gratuite. Et puis, comme dans les films hollywoodiens, une main se lève. Celle de Jean-Yves, considéré comme un leader par les autres gamins. Une deuxième, une troisième et toutes les autres suivent. L’aventure peut commencer. Elle a mené l’un des leurs, Romaric Koné, en équipe de Côte d’Ivoire U17.
Jean-Yves, lui, a «pleuré toute une journée» et a «failli arrêter le foot» quand il a appris que, comme sept autres jeunes de l’Académie Fola, sa présélection ne resterait qu’une présélection. Il n’est pas né de la dernière pluie. Il sait que s’il avait signé à l’ASEC Abidjan, le gros club du pays qui l’a convoité à plusieurs reprises, il aurait eu plus de chances de rentrer dans les papiers de la fédération. «Mais si je signe là-bas, ils vont me bloquer. Ils demandent trop d’argent aux clubs européens et je ne pourrai pas partir.» Alors Jean-Yves est allé jouer six mois en D1 nigérienne au Kandadji Sport, où il est revenu avec le surnom de «Cristiano», «mon modèle absolu». Pendant les 1 600 kilomètres de bus qui séparent Niamey d’Abidjan, Jean-Yves confie à un ami : «La prochaine fois que je fais un voyage, je le fais en avion.» Moins d’un an plus tard, le rêve est exaucé et la collaboration entre l’académie Fola et le champion du Luxembourg 2015 n’est pas près de s’arrêter.
Une tonne de pâtes volées
«Entre nous, c’est de l’amitié pure, poursuit Gilbert Goergen. Il n’y a rien de signé, ce n’est pas un partenariat officiel. C’est plus fort que ça. Un jour, on ira là-bas avec Pim Knaff (NDLR : membre du comité du Fola). On avait envisagé d’y aller il y a deux ans, mais c’était au moment du virus Ebola. Disons que le timing n’était pas très bon, mais oui, c’est sûr, un jour, on ira.»
En attendant, la relation ne s’effrite pas malgré la distance. «Il n’y a pas une semaine au cours de laquelle Pascal (NDLR : Welter, directeur sportif) ou moi, on ne parle pas par mail ou sur Facebook avec M. Fofana», enchaîne Goergen, qui est président d’honneur de l’Académie Fola. Il n’y a pas un jour, non plus, où Pascal Welter n’oublie ce qu’il s’est passé au printemps 2013. Tout heureux d’être sacré champion du Luxembourg 83 ans après son dernier titre, le Fola décide d’envoyer une tonne de pâtes en Côte d’Ivoire via son sponsor (Maxim Pasta), basé à Esch-sur-Alzette. «Ils n’ont jamais rien reçu. On était dégoûtés. Les pâtes ont été volées à la douane», peinent à avaler Pascal Welter.
Ce vendredi matin, quand il s’est envolé de l’aéroport Findel, Jean-Yves Kouakou avait les bagages chargés, et pas que de souvenirs abstraits. «On m’a donné des ballons et aussi des livres de foot pour que nos entraîneurs aient de meilleures méthodes.» Jean-Yves espère surtout avoir marqué les esprits de Jeff Strasser et de son staff. L’idée étant de vite revenir en Europe. En attendant, dès la semaine prochaine, il redeviendra le capitaine de l’équipe des juniors de l’Académie Fola. Mais il ne sera pas dépaysé par l’uniforme. Car il n’y a pas que le nom du club qui a été emprunté. L’académie évolue avec le même maillot rouge et blanc où l’on retrouve le logo du club luxembourgeois au niveau du cœur. L’école de foot ivoirienne a même décidé de faire broder le logo de la ville d’Esch-sur-Alzette quelque part sur le maillot. Certainement au niveau du cœur.
Matthieu Pécot