L’étau judiciaire se resserre autour du Front national : le parti de Marine Le Pen est à son tour mis en examen dans l’enquête sur les soupçons d’emplois fictifs d’assistants d’eurodéputés frontistes.
L’affaire a connu une nouvelle étape le 30 novembre avec la mise en examen du parti comme personne morale pour complicité d’abus de confiance et recel de ce délit « à titre habituel », selon une source judiciaire. « C’est la suite logique de la procédure », a réagi mardi le trésorier du parti Wallerand de Saint-Just, confirmant l’information révélée par le quotidien Le Monde et le site d’informations Mediapart.
Depuis deux ans, les enquêteurs cherchent à savoir si le Front national et sa présidente Marine Le Pen ont profité des fonds alloués par l’Union européenne pour embaucher des assistants parlementaires qui étaient en réalité affectés à des tâches au sein du parti. Préjudice pour le Parlement européen : 5 millions d’euros sur la période 2012-2017, selon les estimations de l’institution. « Cette mise en examen permettra au Front national de démontrer que pas un centime n’a été détourné », s’est défendue la formation politique dans un communiqué.
Dix-sept eurodéputés ou ex-eurodéputés FN, dont la présidente Marine Le Pen et son père Jean-Marie Le Pen, sont visés par l’enquête, qui porte sur au moins une quarantaine d’assistants. Mise en examen le 30 juin pour abus de confiance et complicité d’abus de confiance, Marine Le Pen a placé sa défense sur le terrain de la séparation des pouvoirs : à ses yeux, l’autorité judiciaire ne peut « s’ériger en arbitre du contenu du travail politique d’un député ».
Une autre eurodéputée, Marie-Christine Boutonnet, a été mise en examen dans ce dossier, ainsi que quatre anciens assistants d’élus.
Des « économies importantes »
Ouverte en 2015 après un signalement de l’ex-président socialiste du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, l’enquête repose en partie sur le rapport de l’Olaf, le gendarme antifraude de l’UE, et sur les indices recueillis par les enquêteurs français. Les enquêteurs disposent notamment d’une lettre adressée par Wallerand de Saint-Just à Marine Le Pen le 16 juin 2014, après le triomphe du parti aux Européennes, où il évoquait des « économies importantes grâce au Parlement européen ».
Ils ont également saisi des courriels et un tableau suggérant la ventilation des contrats d’assistants en fonction des crédits disponibles sur les enveloppes des élus. Passé au crible, l’emploi du temps des assistants a démontré l’existence de travail au bénéfice du parti. Ils ont notamment relevé que l’eurodéputée Marie-Christine Boutonnet et son ancien assistant, Charles Hourcade, recruté officiellement pour six mois en vue de la création d’un site internet de l’élu, n’avaient eu aucun contact téléphonique et n’avaient échangé qu’un seul mail. Lors de sa mise en examen le 20 juin, l’élue avait admis avoir mis Charles Hourcade « à disposition du FN » comme graphiste pour « aider » le parti, ce qui ne lui « a pas paru incompatible », selon une source proche du dossier. Réentendue le 10 juillet, elle a confirmé qu’il n’avait jamais réalisé aucune tâche pour elle.
Les auditions se sont accélérées cet automne avec la garde à vue de Wallerand de Saint-Just le 14 septembre, suivie de celle, le 19 septembre, de l’expert-comptable Nicolas Crochet, un proche du parti. Ce dernier, mis en examen dans l’affaire du financement des campagnes de 2012, remplissait les missions de tiers-payant pour le versement des salaires aux assistants. Dans cette enquête, un nom revient souvent, celui de Charles Van Houtte, personnage-clé de l’organisation du FN au Parlement. Au cour de la gestion des contrats d’assistants, il a été entendu fin septembre en Belgique par les enquêteurs. Ancien proche de Marine Le Pen, il a été exclu du groupe Europe des Nations et des Libertés (ENL), auquel appartient le FN au Parlement européen, après des accusations de « possibles carences », voire des « irrégularités » de gestion, selon plusieurs eurodéputés ou assistants FN ou ex-FN.
Le Quotidien/AFP