Le jugement rendu mercredi par la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Luxembourg n’a surpris personne. Hormis PwC qui s’est contenté d’un communiqué lacunaire, il ne satisfait pas les soutiens d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet.
« Je ne fais pas de commentaire » : au contraire des avocats des lanceurs d’alerte, le défenseur de PwC, Me Hervé Hansen, s’est éclipsé du tribunal dès le verdict connu mercredi après-midi, se frayant difficilement un chemin dans la foule des journalistes et sympathisants d’Antoine Deltour et Raphaël Halet massés devant la salle d’audience.
Partie civile dans ce procès, le cabinet a réagi deux heures plus tard par voie de communiqué, notant que ses deux anciens employés ont été «condamnés à verser à PwC Luxembourg la somme de 1 euro en dédommagement». Mais surtout, le cabinet tient à rassurer ses clients et «s’engage à protéger la confidentialité» de leurs «documents» et «données».
Tonalité toute différente dans les propos de David Wagner, élu déi Lénk et seul député présent hier au tribunal : « On pouvait s’y attendre, mais c’est une mauvaise nouvelle, car le Luxembourg devrait respecter ceux qui agissent dans l’intérêt général, c’est une question de principe. » « C’est une journée noire pour la justice luxembourgeoise, mais l’affaire ne s’arrête pas là », tranche le député, avant de rejoindre la Chambre d’où il s’était éclipsé le temps de prendre connaissance du verdict.
Membre de la commission spéciale LuxLeaks et de la commission d’enquête sur les Panama Papers constituées par le Parlement européen, l’eurodéputé allemand Fabio De Masi remarque qu’il s’agit « d’un verdict symbolique mais lourd, car les lanceurs d’alerte ont été condamnés ». Il relève la contradiction du tribunal qui condamne Antoine Deltour et Raphaël Halet tout en leur reconnaissant le statut de lanceurs d’alerte.
Le Luxembourg ne respecte pas les règles
L’élu, issu des rangs de la Linke, affirme qu’ils étaient légitimes à révéler le scandale des rulings, « car depuis 1977 les règles de l’Union européenne prévoient un échange automatique des informations fiscales entre pays membres, ce que le Luxembourg ne respecte pas ». En plein psychodrame du Brexit, il juge qu’« il n’est pas étonnant de voir les citoyens se détourner de l’Union européenne ».
Fabio de Masi fait aussi le parallèle entre cette condamnation prononcée au Luxembourg et une Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker. Le combat continue, dit cependant l’eurodéputé affilié à la confédération de la Gauche unitaire européenne (GUE), « même si certains acteurs politiques voudraient qu’on en reste là ». Quels acteurs? « Principalement des élus du PPE », répond-t-il.
« C’est un verdict dur et scandaleux. Le jugement moral derrière ce verdict est totalement inacceptable. Cela montre que notre législation doit changer pour protéger les lanceurs d’alerte. Nous allons demander encore une fois à la Commission européenne de créer cette base légale », commente pour sa part l’eurodéputé vert allemand Sven Giegold.
«Un œil qui rit et un œil qui pleure»
«Un œil qui rit et un œil qui pleure» : c’est ainsi que les trois syndicats de journalistes luxembourgeois (ALJ, UJL et SJL) ont intitulé le communiqué qu’ils ont diffusé hier après le prononcé. Ils se réjouissent évidemment de la relaxe obtenue par le journaliste français Édouard Perrin, qui fut le premier à révéler le scandale des rulings dans l’émission Cash Investigation diffusée en mai 2012 sur France 2. Les syndicats soulignent qu’Édouard Perrin «a accompli son travail de journaliste dans le sens de l’intérêt public» et se disent convaincus que ce jugement aura une portée dépassant largement les frontières du Luxembourg.
Mais les syndicats de journalistes luxembourgeois «regrettent les peines prononcées à l’encontre des deux lanceurs d’alerte». Il estiment «incompréhensible qu’il ne soit tenu aucun compte de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et du jugement rendu le 21 juillet 2011 par la Cour européenne des droits de l’homme, protégeant les lanceurs d’alerte».
Les trois syndicats réitèrent leur soutien au comité de solidarité à Antoine Deltour et Raphaël Halet. «Le dernier mot n’est pas encore dit», concluent-ils.
Fabien Grasser
Comité de soutien à Antoine Deltour : faux banquet, vraie déception
IKEA, McDonald’s, Amazon, Deutsche Bank, PWC… En attendant le verdict, mercredi, sur le parvis de la cité judiciaire, le comité de soutien à Antoine Deltour avait organisé un «grand banquet des multinationales» sous le slogan «L’État et la justice sont à nous!». De faux patrons en costume se bâfraient littéralement de poulets, légumes et vins, tandis qu’un pauvre lanceur d’alerte attendait d’être fixé sur son sort sous une guillotine.
Derrière cette mise en scène ironique et les cris de soutien, les mines étaient plutôt déconfites à l’annonce du verdict. «C’est très lourd par rapport à la relaxe qu’on attendait, mais aussi par rapport à tout ce soutien… On est déçus, car cela représente beaucoup d’engagement» , confiait, gorge nouée et larmes aux yeux, François Thiery, porte-parole du comité de soutien.
«C’est aussi un espoir qui s’envole. On attendait un signal montrant que la société avait été entendue, que les choses allaient bouger. On ne vit pas une époque formidable, on voit bien que c’est encore la finance qui nous dirige, et les simples citoyens ont du mal à se faire entendre» , analyse le militant, assurant malgré tout que le comité de soutien « est motivé pour continuer le combat en appel ».
Un peu plus loin, Benoît Bringer, collègue du journaliste de Premières Lignes Édouard Perrin, ne criait pas victoire malgré l’acquittement : «Le contraire aurait été vraiment surprenant, car Édouard a simplement fait son travail. Ce verdict est positif pour les journalistes, mais vraiment pas pour leurs sources et les lanceurs d’alerte.»
Sylvain Amiotte