Within Temptation joue ce jeudi soir à la Rockhal. Focus sur ce groupe emblématique du metal symphonique.
Rock symphonique
L’histoire du pop regorge de mélanges entre le rock et le symphonique. C’est la grande jonction entre le classique et la musique dite «de la jeunesse», en rébellion contre les aînés. Alors, bien sûr, cette grille de lecture peut sembler éculée, aussi désuète que la rigoureuse classification d’un artiste dans un genre déterminé.
Il n’y a désormais plus trop de frontières entre les baby-boomers et la Gen X, Y, ou Z : papa écoute PNL, Drake ou Angèle, là où le fiston fait sa playlist de Led Zeppelin ou des Rolling Stones, à défaut de poser les vinyles de maman sur la platine qui mange la poussière.
Mais le rock symphonique présente, à la base, la possibilité de mettre d’accord deux types de foules : la première, debout, en mouvement, qui répète à gorge déployée les paroles de son groupe préféré, et la seconde, assise, concentrée sur les harmonies des instruments et la préciosité de la voix.
Aussi : la combinaison de l’orchestration classique et des riffs tonitruants, les grandes envolées lyriques et le chant qui l’est tout autant, la batterie lourde et la subtilité des arrangements, tout cela pose une certaine idée du rock en tant que grand spectacle.
Dès 1967, avec Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, les Beatles puisent dans le classique. Queen pousse parfois le rock vers le baroque. Avec Procol Harum ou Emerson, Lake And Parlmer, le rock progressif part aussi dans des dérives symphoniques. On ne parle plus seulement de solos de guitares, mais d’apartés instrumentaux, qui montent ou qui s’étirent, ce ne sont pas que des parenthèses de respiration, on parle aussi de prouesse dans la vocalisation.
Et puis, que font ELO, les successeurs des Beatles, avec Roll Over Beethoven? Eh bien, ils reprennent le morceau de Chuck Berry du même nom, tout en y incorporant des bouts de la Cinquième Symphonie de Beethoven. Et quel était le propos de Chuck Berry dans sa chanson? Il souhaitait que le R’n’B, le papa du rock’n’roll, soit aussi respecté que le classique.
Le punk s’est érigé contre le virtuosisme du prog-rock, en tournant le dos à la maîtrise : non, nous ne savons pas jouer, le rock n’est pas une musique faite par des étudiants du Conservatoire. Et de remettre ainsi, au cœur du sujet, la spontanéité, la rage et le mal fignolé.
En Allemagne, il y a eu Klaus Nomi, qui a mixé, de façon inédite et flamboyante, l’opéra et la new wave, la sophistication de son chant et la froideur des machines, la voix de castrat et le son de futur, l’extravagance du clown triste et le costume rock’n’roll. En Italie enfin, il y a eu Giuni Russo, qui, en s’appuyant, elle aussi, sur la nouvelle vague électro, a remis à l’honneur le belcanto : avec ses cinq octaves, elle s’est essayée à bien des solos de voix.
Metal symphonique
Formé par le couple de Néerlandais Sharon Den Adel et Robert Westerholt, Within Temptation est une formation symphonique, dans un genre coutumier de la grandiloquence : le metal. Rendons grâce, à ce propos, aux Italiens Rhapsody Of Fire, précurseurs du métal symphonique. Si ce style était symbolisé par la gémellité, il faudrait, d’emblée, mettre Within Temptation tout près de Nightwish, le groupe finlandais fondé la même année, 1996; en inversant les deux 9, on obtient le chiffre de la bête, alors que la musique est ici angélique. Pour éviter certaines vexations, évitons de comparer Within Temptation à Evanescence, même si les deux groupes ont pléthore de fans en commun, et, surtout, qu’ils ont fait des concerts ensemble, voix dans la voix.
Comme Nightwish et Evanescence, Within Temptation se situe très exactement à cheval entre le métal symphonique et le gothique. Le groupe emmené par Sharon Den Adel se fait connaître avec le morceau Ice Queen : c’est le surnom attribué, parfois, à Siouxsie Sioux, la chanteuse goth ultime et la reine des corbeaux.
Mais alors, rayon gothique, quel point commun y aurait-il entre la new wave frigorifique et l’exubérance du métal symphonique ? Le romantisme sombre.
L’œuvre de Within Temptation en est imprégnée, de Memories, sur un amant disparu, au sens premier du terme, aux cauchemars flous de Shot in the dark, en passant, dans un autre registre tourmenté, par le Love Cyanure, quand l’amour est toxique comme un poison, au point d’en mourir.
Mais, au bout du tunnel, il y a la lumière, avec The Power Of Love : «Love is the light / Scaring darkness away». Cela dit, Within Temptation est politique, aussi : Bleed Out, leur dernier album (sorti en octobre de l’année dernière), parle du sexisme ou de la guerre en Ukraine, et le morceau-titre rend hommage à Mahsa Amini, l’étudiante iranienne battue à mort en 2022.
Sharon Den Adel fait le lien parfait entre le rock et l’opéra, en ce qu’elle est une chanteuse mezzo-soprano autodidacte. Sinon, la recette de Within Temptation? Des guitares hard, turbulentes, et des «heavenly voices».
Plus l’atmosphère est grave, plus la voix monte dans les aigus. Il s’agit d’en mettre plein les oreilles, comme on dirait d’un film qu’il en met plein la vue. Il y a encore des cordes et des cuivres déchaînés, des chœurs qui entrelacent les claviers, ainsi que des mélodies pop entre les sursauts de batterie. En 2004, sur The Silent Force, c’est un orchestre complet et une chorale de quatre-vingts voix qui accompagnent le groupe.
Enfin, Within Temptation travaille avec l’image : le morceau The Howling (2007) a été écrit pour le jeu vidéo Les Chroniques de Spellborn, là où The Unforgiving (2011) est un concept-album sorti conjointement à une série de bandes dessinées de Steven O’ Connell.
Concernant l’alliage musique et image, c’est bien en live qu’il faut voir Within Temptation. Sharon Den Adel y est comme une reine de l’opéra, autant qu’un ange, une fée ou bien une guerrière. Leurs concerts sont quasi tout le temps sold-out ? Pas grave : chaque sortie d’album studio, ou presque, annonce un disque live. Leur meilleur à ce jour? Celui de 2008, qui porte bien son nom, puisqu’il résume à merveille le style de Wihtin Temptation : Black Symphony.
Ce soir à partir de 19 h 45. Support : Blind8 & Annisokay. Rockhal – Esch-Belval.