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Violences : La Voix des survivant-e-s veut changer la loi


Ana Pinto poursuit son combat pour la protection des victimes : «Nous avons fait le travail. Aux politiques de s’en emparer!»

L’association La Voix des survivant-e-s a présenté lundi sa propre proposition de loi pour enfin lutter efficacement contre les violences physiques, psychologiques et sexuelles au Luxembourg.

«Nous ne dormons pas», assure d’emblée Ana Pinto, à la tribune de l’Auditorium Cité à Luxembourg ce lundi soir. Une façon pour la présidente de La Voix des survivant-e-s de réaffirmer son engagement sans faille et celui des bénévoles qui l’entourent depuis deux ans, à soutenir les victimes de violences physiques, psychologiques et sexuelles au Luxembourg.

Mais c’est aussi un fait : la petite équipe incluant juristes et avocats n’a pas beaucoup fermé l’œil ces derniers jours, afin de boucler à temps le fruit d’un an de travail. En plus de l’écoute aux victimes et des actions de sensibilisation – campagnes, relais, exposition, interventions dans les lycées – les membres de l’association ont fourni un travail de titan en coulisses, pour rédiger une proposition de loi.

«Sur la base de nombreux témoignages, nous avons synthétisé les problèmes rencontrés sur le terrain et analysé quels modèles fonctionnent à l’étranger», poursuit la présidente. Au final, cela donne 52 articles pour lutter efficacement contre les violences fondées sur le genre et leur impact sur les enfants covictimes. Présenté lundi à 120 personnes – dont des élus et la ministre de la Justice, Elisabeth Margue – ce document ne doit pas finir au fond d’un tiroir, insiste Ana Pinto : «Nous avons fait le travail. Aux politiques de s’en emparer !»

L’association compte défendre sa proposition de loi lors des assises prévues en décembre dans le cadre du plan national contre les violences fondées sur le genre. L’objectif principal est de mettre fin à l’impunité qui alimente la culture de la violence et ruine la confiance des victimes dans les institutions, souligne l’ASBL.

«On ne se sent ni en confiance ni protégées par notre système judiciaire actuel ou nos lois», pointe Ana Pinto, qui rappelle que les affaires instruites (deux tiers seulement) sont rarement suivies d’un jugement. En 2022, sur les 1 082 nouveaux dossiers de violences domestiques transmis aux tribunaux de Luxembourg et Diekirch, à peine 109 ont ainsi débouché sur une décision de justice.

Le contrôle coercitif, une notion qui émerge

D’où l’urgence d’agir, notamment en intégrant de nouveaux éléments dans le code pénal. À commencer par la violence psychologique, toujours absente dans les textes, ce qui témoigne du retard accumulé par le Luxembourg en la matière. Mais aussi d’autres notions, aujourd’hui bien documentées et cependant méconnues, comme le contrôle coercitif ou les violences économiques.

«Le contrôle coercitif révolutionne la vision des violences domestiques. Celles-ci ne peuvent plus être vues simplement comme une forme houleuse de conflit conjugal», signale Maria Grazia Surace, juriste au sein de La Voix des survivant-e-s. Il s’agit de comportements oppressifs, doublés de stratégies de contrôle, mis en place dans le but de rendre une personne dépendante. «C’est une nouvelle manière de représenter les violences entre conjoints», précise l’experte. «L’auteur isole sa victime de toute forme de soutien, la dénigre, la manipule, l’intimide, surveille et réglemente son quotidien, tout en barrant son accès à l’indépendance.»

Une notion déjà considérée comme une infraction en Belgique et dans les pays anglo-saxons. Car des indices objectifs permettent aux juges et aux forces de l’ordre d’identifier formellement ces cas, par le biais d’un questionnaire standard, que l’ASBL a jugé utile d’annexer à sa proposition de loi.

Les violences économiques désignent, quant à elles, le fait de contrôler une personne via la distribution de l’argent au sein du couple, en menaçant de la priver de ressources ou en l’empêchant de travailler. Cela va du contrôle des comptes bancaires à la prise de décision unilatérale, la privation du libre choix des dépenses, voire le détournement de fonds. Là encore, il y a des lacunes à combler dans la législation.

La Voix des survivant-e-s plaident enfin pour la criminalisation du harcèlement moral et sexuel – passible de sanction uniquement dans le cadre du travail à ce jour – et estime qu’il est grand temps d’inscrire le féminicide dans le code pénal.

78 %

C’est la part de victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques au Luxembourg qui, à la suite de ces faits, ne se sont adressées ni à la police ni aux médecins, psychologues, assistants sociaux ou autres professionnels («La violence invisible», Statec, 2022). La peur d’être montrées du doigt et de ne pas être crues l’emporte : les victimes préfèrent se murer dans le silence. «Il y a un manque de formation des professionnels à tous les niveaux. Nous le savons, car nous l’avons vécu, et c’est aussi ce qu’on nous rapporte dans des dizaines de mails et appels chaque jour», indique Ana Pinto.

Des mesures concrètes pour les victimes

Pour accompagner les victimes de violences, l’association réclame une helpline en continu, avec une assistance juridique initiale gratuite. La création d’un statut spécial, avec des droits renforcés au niveau de l’emploi et de l’accès au logement, aux aides sociales et à un suivi psychologique, faciliterait leur rétablissement. Ce soutien global serait coordonné par le futur Centre national d’accueil des victimes (CNAV) promis par le gouvernement, dont l’une des missions consisterait à se tenir aux côtés des victimes lors d’interventions de police et au moment du dépôt de plainte.

Au volet prévention, l’avocate de l’ASBL, Stéphanie Makoumbou, insiste sur la formation continue obligatoire pour tous les acteurs – magistrats, agents de police, personnel médical, travailleurs sociaux – afin de connaître les dernières avancées dans le domaine du traitement des violences fondées sur le genre, et de maîtriser les bonnes pratiques face aux victimes.

Invitée à s’exprimer, Elisabeth Margue n’élude à aucun moment la réalité des violences physiques, psychologiques et sexuelles au Luxembourg, qu’elle se dit déterminée à combattre. «Le gouvernement en fait une priorité. Nous construisons actuellement un plan d’action national pour lequel les consultations sont en cours», annonce-t-elle.

Quant au CNAV, elle garantit à l’assemblée qu’il verra bel et bien le jour : «On avance. J’ai bon espoir de présenter un projet bientôt.» Saluant le travail effectué par les bénévoles, la ministre de la Justice s’est montrée ouverte à une collaboration avec Ana Pinto et son équipe, l’invitant à se rendre au ministère pour examiner cette proposition de loi directement avec ses services. Une première victoire pour l’association.

survivant-e-s.lu

Le sujet mobilise : 120 personnes étaient rassemblées lundi soir, dont des députés.

L’exemple des tribunaux spécialisés espagnols

Pas besoin de réinventer la roue, note la présidente de La Voix des survivant-e-s : il suffit de s’inspirer de ce qui marche à l’étranger pour améliorer le traitement des violences et la prise en charge des victimes. En Espagne, les tribunaux spécialisés dans les violences conjugales lancés en 2005, malgré la levée de boucliers du Conseil supérieur de la magistrature local, ont permis de faire baisser d’un tiers le nombre de féminicides perpétrés dans la péninsule.

Ces juridictions dédiées uniquement aux violences intrafamiliales appliquent une approche intégrale : les juges, avocats, psychologues et assistants sociaux qui y travaillent sont spécifiquement formés. Ils traitent chaque année plus de 180 000 plaintes qui aboutissent, dans 75 % des cas, à une condamnation. Loin du Grand-Duché, où une plainte sur trois est classée sans suite, déplore l’association. Créer une justice spécialisée présente aussi l’avantage de réduire considérablement les délais de traitement des affaires, là où certains dossiers traînent sur plusieurs années, empêchant de fait les victimes de tourner véritablement la page.

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