Les travaux de la Villa Lorenz, premier habitat participatif pour seniors du Luxembourg, avancent à grands pas : les résidents poseront leurs cartons à Lorentzweiler à la rentrée.
Nous avions rencontré Jeanny Groebig et Astrid Lauterbach l’an dernier, alors que les travaux de réhabilitation de la Villa Lorenz, grande bâtisse dans laquelle elles s’installeront mi-septembre, venaient tout juste de démarrer.
Les deux sexagénaires se préparent donc doucement à cette nouvelle étape de leur vie, avec d’autres seniors qui ont choisi, comme elles, de couler leurs vieux jours en cohabitation.
«Ce n’est pas de la colocation puisqu’on a chacun notre propre logement, mais ça ne se limite pas non plus à boire le café ensemble», clarifie d’emblée Astrid, présidente de l’asbl Beienhaus qui défend ce modèle alternatif de vie en collectivité pour les plus de 50 ans.
«Il faut être prêt à donner de soi et à partager. C’est cette vision qui doit être à la base de l’engagement pour vivre en communauté», estime-t-elle.
Encore de la place pour deux locataires
Un concept entre indépendance et vivre-ensemble qui séduit, puisque les 12 logements de l’immeuble implanté à Lorentzweiler sont déjà tous vendus. Seuls deux appartements cherchent encore leur locataire.
Et avec la remise des clés qui approche, les futures habitantes réalisent que ce projet – le premier du genre au Luxembourg – va enfin se concrétiser : «Quitter la maison où j’ai vécu 40 ans de ma vie est une étape plus compliquée qu’il n’y paraît», reconnaît ainsi Astrid.
À 68 ans, mettre tous ses souvenirs dans des cartons signifie aussi les réanimer, une tâche que repousse Astrid jusqui’ici : «Chaque objet me rappelle un moment de ma vie. J’aimerais pouvoir simplement partir et tout laisser derrière moi», décrit-elle, soulignant qu’avec l’âge, il devient difficile de lâcher prise.
Pour Jeanny, c’est un peu différent, car cette ancienne institutrice a déjà fait le deuil de sa vie d’avant il y a quelques années.
Elle attend donc la remise des clés avec une certaine excitation, d’autant que ses repères ne seront pas totalement bouleversés : «Je vis déjà à Lorentzweiler et j’y ai mes amis», se réjouit-elle, à l’idée d’écrire les nouvelles pages de sa vie.
Un cadre légal qui fait encore défaut
Si aujourd’hui, la petite communauté se connait bien et se réunit régulièrement pour fixer les modalités de sa cohabitation à venir, le groupe ne s’est rencontré qu’au moment de la vente.
Une configuration très éloignée de la vision promue par Beienhaus, mais pas le choix : quand on essuie les plâtres, il faut faire des concessions. «La Villa Lorenz est un projet commercial. Ça s’est fait comme ça parce que le cadre légal manque pour faire autrement», déplore Astrid.
Idéalement, l’habitat participatif démarre avec un groupe de base motivé, qui recrute ensuite d’autres personnes pour constituer la future communauté sous la forme d’une coopérative, et c’est ensemble que les seniors travaillent le projet, des premiers plans jusqu’au règlement interne.
Les communes ont un rôle à jouer
L’association souligne que le soutien des communes dans le développement de ce type de logements est déterminant, avec la mise à disposition des terrains ou de bâtiments aux normes pour les personnes âgées, des appartements de différentes surfaces, mis en location, et avec un loyer qui tienne compte des ressources.
«Beaucoup de femmes sont confrontées à une situation financière difficile à l’âge de la pension, et les banques rechignent à leur prêter de l’argent», pointe la présidente.
Vieillir mieux et en meilleure santé
Beienhaus a déjà rencontré quelques partis politiques et listé les avantages d’un tel modèle, alors que la part des plus de 60 ans au Luxembourg – qui atteint déjà 20% aujourd’hui, et dont plus de la moitié sont des femmes – va grimper ces prochaines décennies, avec un coût important pour la société.
«Or, vieillir ensemble et chez soi, c’est vieillir mieux et rester en bonne santé plus longtemps», note Jeanny.
Rendez-vous au salon des seniors
Vous avez plus de 50 ans et vous investir dans un projet d’habitat participatif vous tente? Visitez le salon des seniors les 21 et 22 avril à Luxexpo, vous y rencontrerez l’association Beienhaus et pourrez assister à des conférences.
- «Vieillir ensemble autrement en autogestion» par deux membres de la communauté Chamarel venus spécialement de Lyon (à 17 heures le vendredi, en français avec traduction en luxembourgeois)
- «Villa LorBlumm, un habitat participatif intergénérationnel à Kautenbach» par la société Nouma (à 14h15 le samedi).
Si le Luxembourg ne compte encore aucun habitat participatif pour seniors, en Allemagne, au Canada ou en France, le concept existe déjà depuis quelques années et fait des émules.
Une visite en France pour s’inspirer
L’été dernier, six membres de l’asbl Beienhaus ont ainsi rendu une petite visite aux 17 habitants de la coopérative Chamarel à Vaux-en-Velin (F) qui fait office de référence.
«Leur projet a bénéficié d’un soutien important de la part de la commune pour le terrain, des banques pour l’obtention de prêts à taux zéro, mais aussi du public à travers des dons. Ils collaborent avec des universités pour les volets écologique et sociologique», explique Astrid.
«On est revenus avec plein de nouvelles idées et motivés comme jamais», raconte-t-elle, particulièrement inspirée par les nombreuses activités organisées.
«C’est un lieu ouvert sur le quartier, avec des événements, des expositions, du théâtre amateur ou des soirées lecture dans leur salle commune. Mon rêve!», lance-t-elle.
«Tout n’est pas rose !»
Conscient que leur retour d’expérience est précieux, le groupe de Français milite pour ce nouveau modèle d’habitat : «Ils reçoivent les gens intéressés, donnent des conférences, et n’hésitent pas à pointer les problèmes qu’ils rencontrent, car tout n’est pas rose! Ça évite des soucis à ceux qui se lancent dans l’aventure», ajoute Jeanny.
Par exemple, la nécessité d’anticiper les conditions de sortie de la résidence pour un habitant qui tomberait dans la démence : Chamarel préconise d’établir une liste de personnes de confiance, incluant un médecin, avec lesquelles la communauté pourra échanger en amont, et qui prendront la décision pour leur proche le moment venu. Ou encore la création d’une structure spécifique pour faciliter l’organisation d’animations.
Deux membres de la coopérative seront présents au salon à Luxexpo (lire ci-contre) pour sensibiliser les seniors du Grand-Duché et livrer tous les détails de leur projet atypique qui a nécessité cinq ans de préparation.