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Vers un changement radical pour les chasseurs et les pêcheurs


Un après-midi de pêche au bord de la Moselle, qui peut avoir des conséquences insoupçonnées sur l’environnement. (photo archives LQ/Fabrizio Pizzolante)

L’interdiction du plomb pour les activités de chasse, pêche et tir se précise.

Rare métal à être à la fois présent dans une multitude d’expressions de la langue française et dans l’environnement, le plomb est l’objet d’une pétition européenne depuis décembre. Non pas pour en interdire l’usage après les mots semelles, silence ou chaleur, mais dans les accessoires indispensables à la pratique de la chasse et de la pêche.

Disponible sur le site de l’association natur&ëmwelt, la pétition européenne #BanLeadNow («interdire le plomb dès maintenant») a déjà récolté pas loin de 30 000 signatures et vise les 100 000 d’ici à fin mai. «Avec l’actualité en ce moment, on comprend que ça passe un peu au second plan», explique Claudine Felten, directrice de l’ASBL. «Mais quand même, c’est déjà un succès, pas seulement à cause du nombre de signatures, mais parce qu’il y a une proposition de la Commission européenne pour abolir le plomb.»

En effet, l’Union européenne, qui se préoccupe de la dangerosité de ce métal, a dans sa ligne de mire, depuis une dizaine d’années, les accessoires de chasse et de pêche. Utilisé pour les munitions des chasseurs et des tireurs sportifs, le plomb est aussi employé pour lester les leurres, armer les têtes plombées et équilibrer les lignes des pêcheurs.

Depuis 2023, le plomb est interdit dans les munitions pour la chasse en zones humides, où le gibier d’eau était essentiellement abattu avec des cartouches à grenaille. Toutefois, la Commission européenne compte aller plus loin. Elle a présenté aux États membres, le 27 février, une proposition visant à interdire l’utilisation du plomb dans ces activités de loisir avec un délai de transition et des dérogations.

Le gouvernement luxembourgeois, lui, «est en faveur d’un projet de restriction ambitieux», écrivait Serge Wilmes, le ministre de l’Environnement, le 11 février. Le texte peut encore évoluer avant d’être soumis au vote des États. Prochaine étape le 21 mars (lire encadré).

La mort d’un million d’oiseaux

Dès 2019, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) avait été mandatée pour se pencher sur ce sujet spécifique. Le rapport, rédigé après une vaste étude, indique qu’une fois exploité en raison de sa grande malléabilité et sa résistance à la corrosion, le plomb se révèle toxique, même en quantité infime dans le sang.

Les personnes qui mangent du gibier, comme celles qui respirent les vapeurs et poussières de plomb en fabriquant chez elles des munitions, par exemple, sont exposées aux fines particules de ce métal. Cette exposition peut entraîner, entre autres, des effets neurotoxiques et cardiovasculaires, des maladies rénales ou des problèmes de fertilité. Selon le degré d’absorption, son ingestion ou inhalation peut être irréversible, voire fatale.

Quant aux conséquences du plomb sur la faune, le rapport n’y va pas non plus par quatre chemins : plus d’un million d’oiseaux meurent chaque année après l’ingestion des plombs laissés par les chasseurs et pêcheurs ou en se nourrissant d’animaux contaminés.

Toujours d’après cette vaste étude, environ 44 000 tonnes de plomb sont rejetées chaque année en Europe à cause de ces deux activités : 57 % proviennent du tir sportif et 32 % de la chasse et de la pêche. Natur&ëmwelt estime qu’au Luxembourg, «550 kg de plomb par an sont rejetés dans l’environnement par la chasse» (les données sur la pêche sont inexistantes).

Banni de plusieurs pays

«Le plomb n’est pas seulement utilisé dans la grenaille», précise Claudine Felten. «Des balles à plomb sont aussi employées dans la chasse au gros gibier. Dans ces cartouches, le plomb est dans la pointe, où le matériel moins dur a pour effet de se déformer à l’impact et ainsi, causer une mort rapide», explique-t-elle encore avant de soulever un autre problème affectant, cette fois, la pratique du tir sportif. «Le plomb est contenu dans l’explosif initial des cartouches. Lors du tir, les gaz de poudre chauds libèrent des particules de plomb de l’arrière du projectile, ce qui peut affecter l’air des stands de tir», poursuit-elle.

Si les mesures restrictives préconisées par l’ECHA étaient prises par les États membres, elles réduiraient les émissions de plomb de 630 000 tonnes en 20 ans, protégeraient des millions d’oiseaux et diminueraient les risques sanitaires pour les consommateurs de gibier. Le tout progressivement, afin que le marché trouve des alternatives au plomb (comme le zamak, l’étain, le zinc ou le tungstène). Bien que pour les tireurs de sport et les chasseurs, «les effets balistiques diffèrent en fonction de la composition des balles et tous les fusils ne se prêtent pas aux balles sans plomb», nuance Claudine Felten.

Plusieurs pays européens ont d’ores et déjà banni complètement l’usage des munitions au plomb : c’est le cas du Danemark, des Pays-Bas, de la Suède et plus proche de nous, de la région flamande de Belgique. Quant aux jeux de mots faciles avec le mot plomb, il n’y a toujours pas de pétition ni de règlement européen pour les interdire.

«Je ne serais pas contre d'arrêter, mais…»

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Serge Petro, président de la Fédération luxembourgeoise des pêcheurs sportifs (FLPS), a du mal à imaginer que les accessoires de pêche à la ligne puissent être toxiques pour la faune. Ce sont plutôt «les plombs pour pêcher en mer (qui sont dangereux), parce que là, des plombs de 200, 500, même 1 000 g sont utilisés en grande quantité. Nous, on a vraiment des tout petits plombs pour nos montages de ligne».

Quand on lui objecte que les oiseaux meurent après l’ingestion d’un plomb qu’ils ont confondu avec un ver ou d’un animal qui est lui-même intoxiqué, il concède que «si c’est vraiment une pollution, je ne serais pas contre d’arrêter, mais il faudrait trouver une solution (de substitution)».

Il y a bien «une alternative conçue en Angleterre, mais le problème, c’est que les matériaux pour remplacer le plomb coûtent très, très, très cher». Convaincu qu’«il ne faut pas tuer les animaux, ça, c’est sûr et certain», il a bien l’intention de se renseigner plus précisément sur le sujet, d’autant qu’en avril, il participera à un congrès de pêche mondial en Slovénie, auquel figure à l’ordre du jour l’interdiction du plomb dans ce secteur.

Première deadline, le 21 mars, pour les États membres

Le projet de règlement de la Commission européenne visant à modifier l’annexe XVII du règlement REACH, qui limite l’utilisation du plomb dans les munitions et les articles de pêche, propose plusieurs restrictions, en plus d’un étiquetage obligatoire des produits contenant du plomb pour informer les utilisateurs des risques.

Côté pêche, il souhaiterait bannir les plombs de pêche dans les filets, lignes et appâts, progressivement.

Côté chasse, le projet vise l’interdiction progressive des munitions au plomb dans un délai de dix ans et le port des munitions en plomb lors de la chasse, pour faciliter l’application de la réglementation. Le tir sportif est aussi ciblé : une dérogation serait toutefois accordée, sous conditions strictes (mesures de confinement et récupération du plomb). À noter que les balles en plomb utilisées par les forces de l’ordre et l’armée ne seront pas, dans l’immédiat, interdites.

La Commission a présenté pour la première fois les éléments clés du projet fin février et a recueilli quelques réactions préliminaires. Certains États membres se sont opposés au projet pour différentes raisons comme la situation géopolitique actuelle ou des questions de législation nationale, d’autres ont accueilli favorablement la dérogation pour l’utilisation de balles dans les stands de tir sportif. Les États membres ont été invités à envoyer d’autres commentaires écrits avant le 21 mars. La prochaine réunion se tiendra en avril.