Country Head d’ArcelorMittal Luxembourg depuis le mois d’août et première femme à ce poste, Valérie Massin doit évoluer dans un secteur marqué par un contexte difficile pour la sidérurgie en Europe.
Comment se sont passés pour vous ces premiers mois?
Valérie Massin : L’actualité économique a été intense. Nous avons beaucoup de sujets à traiter, des sujets surtout menés par l’actualité européenne et internationale, comme les importations, les tarifs douaniers, les problématiques de l’énergie… Puis aussi beaucoup de sujets nationaux, avec nos projets sur nos sites luxembourgeois.
Le nouveau four électrique du site de Belval est décrit comme l’un des atouts forts d’ArcelorMittal au Luxembourg. Où en est le projet aujourd’hui?
Le projet de Belval, qui fait référence au nouveau four électrique, a bien avancé. C’est un projet qui est très particulier, parce qu’il a fallu remplacer le four électrique actuel par un nouveau four, tout en continuant à assurer la production avec le four. D’un point de vue technique et d’organisation des équipes, c’est un vrai défi, parce que cela fait beaucoup de monde sur le terrain. Il faut assurer la bonne coordination des équipes et la sécurité de toutes les personnes présentes.
L’ancien four a été démantelé, le nouveau four a été livré et monté depuis le mois d’octobre. Actuellement, des essais sont réalisés. Les ingénieurs vérifient que tout fonctionne bien au niveau des mouvements du four, des connexions, des circuits d’eau, des absences de fuite, etc. D’ici la fin de l’année, le nouveau four sera mis en route et nous pourrons reprendre l’activité. Courant 2026, une nouvelle partie arrivera : la coulée continue. Celle-ci va aussi subir des transformations pour permettre de produire des nuances d’acier qu’il nous était impossible de produire jusqu’à présent.
Et concernant Differdange et le système de dépoussiérage?
Si je devais imager, je dirais qu’il s’agit d’un système semblable à un aspirateur géant. C’est une installation qui était d’abord à Hayange et qui était à l’arrêt depuis quelques années. Après de nombreuses études menées sur plusieurs années, cette installation a été démontée, puis remontée à Differdange. Durant l’été, elle a été connectée au dépôt de scories, au four poche et au stand de nettoyage des poches de l’aciérie, maintenant elle est en phase de test. D’ici à début 2026, elle sera mise en opération. Ce sont des années de réflexion et d’ingénierie qui se concrétiseront et qui vont permettre une diminution des émissions de poussière de plus de 80%. C’est un projet qui est purement environnemental.
Pouvez-vous nous parler des investissements concernant les installations photovoltaïques?
C’est une nouvelle installation qui a été mise en service près du Train Moyen Belval (TMB), près d’un laminoir qui produit des petites et des moyennes sections. C’est une installation qui comporte environ 3 700 panneaux. La puissance qui sera dégagée permettra de couvrir de 5% à 7% des besoins du TMB. C’est un des éléments qui nous permettent de diminuer notre consommation énergétique et d’améliorer aussi notre bilan carbone.
Chaque mois qui passe est vraiment critique
Actuellement, quels sont les plus grands défis que doit surmonter ArcelorMittal?
L’un de nos défis majeurs concerne la décarbonation et l’un des aspects de la décarbonation, c’est l’énergie. Nous sommes confrontés à des coûts de l’énergie, de l’électricité et du gaz, qui sont très importants en Europe. Ils peuvent être deux à quatre fois plus élevés que dans d’autres régions du monde en dehors de l’Europe. Ces coûts ont un impact sur notre compétitivité et c’est un sujet qui doit absolument être traité. Il faisait partie du plan acier et métaux de la Commission européenne sorti en mars dernier, mais qui pour l’instant n’a pas encore été vraiment mis en œuvre.
Plus globalement, sur la décarbonation, ArcelorMittal a la volonté d’avancer dans cette voie et de remplir les objectifs fixés par l’Union européenne. Au Luxembourg, nous avons une longueur d’avance, car nous faisons déjà usage d’une technique de production d’acier avec four électrique qui émet moins de CO₂ qu’une production traditionnelle via des hauts-fourneaux. On est à peu près à deux tonnes de CO₂ par tonne d’acier produite, alors qu’en four électrique, on est à peu près à 600 kg par tonne d’acier produite.
Plus globalement sur ce sujet, pour avoir un plan de décarbonation qui avance, nous avons besoin de plusieurs éléments : la technologie, des énergies avec des coûts raisonnables, des politiques favorables à ce développement et un marché, lui aussi, qui soit favorable. Pour l’instant, ce contexte est absent.
L’Europe fait face à une baisse de la demande et à une hausse des importations d’acier à bas prix venant de pays non européens. La décarbonation nécessite des investissements absolument considérables, mais qui ont besoin aussi d’un contexte favorable pour pouvoir être viables. Nous sommes très engagés en même temps dans le groupe et au Luxembourg pour la décarbonation, mais il faut faire sauter certains goulots d’étranglement pour pouvoir continuer dans cette voie.
Selon vous, quels changements sont nécessaires pour améliorer la situation?
Deux changements sont nécessaires urgemment au niveau de la politique européenne. Le premier concerne le nouvel outil des mesures commerciales. L’outil qui existe actuellement et qui va arriver à échéance en juin 2026 a démontré qu’il comportait de nombreuses lacunes. Il a été mis en œuvre en 2015 et il a fixé des quotas d’importations non européennes. Le problème, c’est qu’entre-temps la demande européenne a considérablement baissé et les quotas qui étaient alloués sur la base du système actuel, eux, n’ont pas été revus. L’Europe est devenue un importateur net de produits sidérurgiques.
D’après les derniers chiffres publiés par Eurofer, en 2024, 27 millions de tonnes d’acier ont été importées en Europe, alors que l’Europe a exporté à peu près 17 millions de tonnes. Ces dernières années, la demande d’acier en Europe a baissé et des usines ne fonctionnent plus de façon optimale ou ferment. Aujourd’hui, en moyenne, les usines européennes fonctionnent à 60% de leur capacité seulement. Il y a un sérieux problème.
L’objectif est de réajuster les mesures commerciales en fonction de la situation et de la demande actuelle en Europe et en fonction de la réglementation en vigueur sur le continent. Aujourd’hui, des réglementations s’imposent aux usines européennes qui ne s’imposent pas aux producteurs non européens et il faut absolument que l’on puisse avoir des importations non européennes qui à la fois permettent de répondre à la demande européenne pour l’ensemble des produits, mais qui permettent aussi d’assurer que les producteurs européens puissent y trouver leur place. Il s’agit d’avoir des quotas revus à la baisse et de revenir à une situation qui était celle de 2012.
Quand cela pourra-t-il se faire?
Il s’agit de fixer les quotas, on parle ici d’environ 18 millions de tonnes par an, au-delà desquelles vous avez un droit de douane imposé dès que ce plafond est dépassé. En revanche, il est très important que cette mesure soit prise le plus vite possible. L’outil actuel vient à échéance en juin 2026. Nous avions demandé que le nouvel outil soit mis en place dès le 1er janvier 2026, ce qui manifestement ne sera pas le cas.
Nous avons remarqué qu’en anticipation de la mise en place de ce nouvel outil, les importations ont encore augmenté, parce que les stockistes constituent leur stock. Tout ce qui est déjà entré sur le territoire sera exempté de facto d’une mesure qui arrive après. Ça veut dire que déjà le début de l’année 2026 sera négativement impacté.
Nous demandons maintenant que ce soit au plus tard le 1ᵉʳ avril pour que toute l’année 2026 ne soit pas négativement affectée. En ce qui concerne l’acier, le premier semestre est le plus important. Durant le second, il y a moins de demande, donc chaque mois qui passe est vraiment critique.
Quel est le second changement à opérer?
Il s’agit du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (NDLR : MACF, CBAM en anglais). La Commission européenne va dévoiler ces prochains jours sa proposition visant à combler les lacunes croissantes du mécanisme actuel, qui limitent son impact sur la réduction des émissions mondiales et exposent l’industrie européenne à des risques. Des produits en aval exclus du champ d’application aux émissions mal mesurées ou contournées, le système actuel génère des fuites de carbone à tous les niveaux.
Trois failles sont particulièrement préjudiciables : l’absence de solution pour garantir la compétitivité des exportations de l’UE, le transfert de ressources et les fuites de carbone via les produits en aval. Ceci permet aux producteurs étrangers de manipuler le système et contraint les sidérurgistes européens à être structurellement désavantagés. Sans correction urgente, le MACF récompensera la comptabilité créative et non une véritable décarbonation. L’acier européen « propre » perdra du terrain face à ses concurrents fortement émetteurs de carbone. La proposition de la Commission représente une occasion cruciale de remettre le MACF sur les rails. Pour avoir un système fiable qui réduise les émissions mondiales et préserve le tissu industriel européen, il est urgent d’agir.

«Nous sommes très engagés pour la décarbonation, mais il faut faire sauter certains goulots d’étranglement pour pouvoir continuer dans cette voie» (Photo : fabrizio pizzolante)
Quelle est votre stratégie pour continuer à réduire l’empreinte carbone?
Nous pouvons améliorer encore nos processus pour la décarbonation. Nous avons évoqué le projet mis en place à Belval pour diminuer la consommation d’énergie, et nos projets avec des panneaux photovoltaïques vont également dans ce sens. Dans l’avenir, des brûleurs pourront être installés à Belval pour fonctionner à l’hydrogène. Mais cela va prendre du temps, car il faut notamment avoir les infrastructures pour acheminer l’hydrogène.
Et pour l’instant, la molécule d’hydrogène est encore trop chère pour être intégrée dans le processus de production. Ce sont des technologies et un marché qui sont appelés à se développer. Je fais peut-être une comparaison qui est un peu étrange, mais c’est comme quand on a inventé le téléviseur. Au début, c’était très cher et puis, au fur et à mesure, entre la demande et l’offre, la technologie a évolué. C’est un peu le même type de schéma d’évolution.
Une plainte a été déposée contre ArcelorMittal par l’ONG Opportunity Green. Selon cette plainte, ArcelorMittal n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour réduire ses émissions de CO2 à la vitesse et à l’échelle exigées pour respecter la limite mondiale de réchauffement à 1,5 °C. Quelle est votre réaction à cette plainte?
Nous avons pris bonne note de cette plainte. Il est aussi important de voir que de 2018 à 2024, les émissions en CO₂ d’ArcelorMittal ont baissé de 50% en chiffre absolu. Je tiens à souligner que, sur la même période, le groupe a investi près de trois milliards de dollars dans des projets de décarbonation.
Par ailleurs, dans cette période, nous sommes passés de 19% de notre production d’acier issue de fours électriques à 25%. Nous avons fait des choses. Alors, comme nous l’avons dit aussi et reconnu, les progrès en matière de décarbonation ont été plus lents que prévu, notamment en raison des problématiques citées précédemment, comme les politiques favorables, la baisse de la demande d’acier en Europe, les importations, la technologie… Je dirais que la stratégie d’envergure ne s’est pas faite avec la vélocité que nous espérions, car le business case n’est pas là.
L’usine de Bissen a connu des difficultés économiques. Quelle est la situation actuelle? Les emplois sont-ils menacés?
L’usine de Bissen a effectivement connu des difficultés, là aussi dans le cadre du contexte des importations d’acier non européennes. Plusieurs produits sont faits à Bissen. Il y a ce qu’on appelle des fibres, mais aussi du fil d’acier destiné essentiellement à l’agriculture et du fil industriel. Ces produits, notamment les deux derniers, ont été fortement affectés par les importations non européennes à très bas prix.
Je tiens à souligner qu’aucune mesure de protection n’existe sur ces familles de produits. Nous avons revu la situation avec les syndicats et avec le gouvernement. À présent, nous nous concentrons sur les fibres et le fil agricole et nous prévoyons des investissements pour renforcer la production de ces produits. La situation est bien suivie, on fait très attention. Nous avons un plan d’action pour cette usine et nous souhaitons nous focaliser et augmenter les productions. On suit ça de très près.
En France, ArcelorMittal a annoncé de nombreuses suppressions d’emplois. Le Luxembourg a-t-il des raisons de s’inquiéter pour 2026?
Concernant le Luxembourg, nous ne sommes pas une île. Tous les problèmes que j’ai évoqués, les problèmes d’importation, les problèmes de bas prix, les problèmes de tarifs, les problèmes de coûts de l’énergie, etc., tous existent au Luxembourg. Il est nécessaire pour nous de toujours essayer de travailler pour rester compétitifs. Si nous devons avoir des discussions à ce niveau-là, ce sont des discussions que nous mènerons dans le cadre social luxembourgeois, avec les syndicats.
Toujours en France, l’Assemblée nationale y a adopté un projet de loi visant à nationaliser ArcelorMittal France. Cela peut-il résoudre les problèmes auxquels est confrontée l’industrie sidérurgique?
Mon homologue français, Alain Le Grix, a déjà répondu à cela et je le rejoins en disant que c’est une fausse bonne solution. La problématique ne vient pas d’ArcelorMittal France. La problématique vient du contexte des marchés. Il faut savoir qu’il y a à peine 30% de la production française qui est consommée ou utilisée en France. Cela signifie que tout le reste va à l’exportation.
Si l’on détachait cette installation ou cette usine du groupe ArcelorMittal, les différentes problématiques, elles, resteraient. Au contraire, on affaiblirait encore la situation, car le fait d’être intégré dans un groupe d’envergure internationale, cela permet de produire aussi pour d’autres usines, d’avoir toute une organisation commerciale, de pouvoir exporter ces produits et d’avoir une assise et une solidité autant technique que financière pour permettre des investissements.
Nous devons réfléchir à attirer plus de femmes
Concernant la sécurité dans l’entreprise, qu’est-ce qui est mis en place pour assurer et renforcer la sécurité des employés?
La sécurité est la priorité du groupe, y compris ici au Luxembourg. Depuis l’année passée, un important programme est mis en place avec une société qui s’appelle dss+ qui est connue pour son approche de la sécurité. Ce programme vise à mener des actions à tous les niveaux de l’entreprise pour améliorer la compréhension, l’approche, l’attitude, la proactivité et la réactivité en matière de sécurité. Des audits sont ensuite réalisés pour voir comment est intégré ce grand programme de formation. Après deux ans, nous en sommes à 60% du développement du programme.
En tant que femme, comment évoluez vous dans ce monde très masculin?
J’ai toujours vécu le fait d’être une femme comme un avantage, je n’ai jamais été confrontée à quelque problème que ce soit. Je dirais même que c’est plutôt un atout d’être une femme, car ce qui pourrait se dire à un collègue masculin, on va prendre les formes pour le dire à une femme. Je le prends plutôt comme étant un atout, mais ce n’est peut-être pas la version de toutes les femmes.
Plus largement, quelle est la place des femmes chez ArcelorMittal Luxembourg?
On dit que la sidérurgie est un secteur très masculin, mais quand même de moins en moins. Au sein d’ArcelorMittal, en Europe, nous avons beaucoup de femmes qui sont dans des fonctions plutôt administratives, comme les ressources humaines ou les finances. Aussi, nous avons de plus en plus de femmes qui sont dans les opérations et, dans l’avenir, je pense que nous devons assurer l’intérêt des jeunes filles pour les filières techniques. Le vrai point de travail, ce sont ces femmes qui se trouvent dans ces filières. Nous devons réfléchir à comment faire pour y attirer plus de femmes. Aujourd’hui, nous avons des actions qui sont menées pour travailler sur l’appétence que les jeunes femmes peuvent avoir envers ces métiers.
État civil. Valérie Massin est née en juin 1966 à Uccle, au sud de Bruxelles.
Formation. Elle suit des études de droit à l’université libre de Bruxelles, puis au Collège d’Europe à Bruges.
Carrière. Valérie Massin arrive en septembre 1991 au Luxembourg et exerce de 1992 à 1996 au barreau de Luxembourg. Elle évoluera ensuite dans une banque privée jusqu’en 2000.
ArcelorMittal. En 2000, elle rejoint ArcelorMittal comme juriste, puis en 2007 prend la fonction de RH à Differdange. En 2009, Valérie Massin devient RH Manager dans des fonctions support, puis coordinatrice des services partagés RH en 2011. Dernièrement, elle était directrice des ressources humaines d’ArcelorMittal Europe – Long Products.
Country Head. En août 2025, Valérie Massin succède à Henri Reding en tant que «Country Head Luxembourg».