Une tripartite industrie est annoncée pour le 19 avril. Personne n’a intérêt à perdre une main-d’œuvre précieuse en période de grande pénurie. Chacun prône le maintien dans l’emploi.
Cette rencontre entre partenaires sociaux demandée par les syndicats intervient après l’annonce de la suppression de 155 postes chez Husky Technologies, qui s’ajoute aux suppressions de postes opérées chez Dupont Teijin Films ou encore John Zink. «En très peu de temps, on a eu un séisme dans le secteur et il a fallu réagir rapidement», résume ainsi Robert Fornieri, secrétaire général adjoint du LCGB, en charge des dossiers industriels.
Les bruits commençaient à circuler qui ne présageaient rien de bon et le dégraissage risquait de toucher d’autres entreprises. «Il fallait se mobiliser au plus haut niveau, faire une analyse de la situation et la Fedil a sans doute beaucoup de choses à nous dire à ce sujet», poursuit-il.
La Fédération des industriels s’attend à une discussion consacrée à la situation dans l’industrie en général «car 2023 est une année charnière pour le secteur», comme l’explique René Winkin, son directeur général. Que de nouvelles activités apparaissent quand d’autres s’éteignent n’a rien d’exceptionnel, mais cette transition s’opère cette fois avec en toile de fond «une crise énergétique et des objectifs climatiques où on a toujours des problèmes pour savoir comment arriver à cette décarbonisation», ajoute le directeur de la Fedil.
Il cite la Chine et les États-Unis qui tentent de concilier les objectifs environnementaux avec la croissance économique ou, autrement dit, de résoudre la difficile équation de la croissance verte.
«S’il y a des activités en déclin et à restructurer, il ne faut pas le critiquer, car c’est toujours ainsi que cela se passe et il ne faut pas bloquer des situations», estime René Winkin. La question est de savoir comment compenser, rattraper d’un côté ce que l’on perd de l’autre. «Si on est capable de développer de nouvelles activités et des emplois dans l’industrie, il faut savoir comment, au mieux, assurer la mobilité des gens concernés dans une entreprise A pour les transférer dans une activité B qui cherche de la main-d’œuvre et qui embauche, c’est la deuxième partie de la discussion que nous aurons à l’occasion de cette tripartite», détaille le directeur de la Fedil.
S’il ne parle pas de cellule de reclassement, cela y ressemble beaucoup. «Nous nous retrouvons face à une pénurie de main-d’œuvre dans certains profils et ni nous ni les syndicats n’avons intérêt à ce que les gens partent», insiste René Winkin. Pour la Fedil, il y a des opportunités ailleurs pour qui ne se ferme pas à d’autres métiers, même dans les services à caractère industriel, dans l’artisanat et dans les activités centrées sur la transition énergétique.
Quand un chapitre se ferme, un autre s’ouvre et c’est dans cet état d’esprit que la Fedil entrevoit l’avenir de l’industrie. Quant aux plans sociaux annoncés par certaines entreprises et qui concernent des centaines de salariés, René Winkin y voit une procédure normale. «Les entreprises étudient leurs dossiers et finissent par annoncer un plan de restructuration qui ne provoque pas la joie, c’est certain, mais c’est après que l’on négocie, qu’on passe en mode créatif et constructif», déclare le directeur de la Fedil. Les outils existent pour éviter la casse, il suffit de les utiliser.
Avec l’aide du gouvernement
Le ministre de l’Économie, Franz Fayot, avait indiqué dans une question parlementaire que la mise en place d’une cellule de reclassement n’était pas à l’ordre du jour. Avant d’expliquer que la suppression envisagée de 155 postes chez Husky à Dudelange fait suite à la décision du groupe d’arrêter de servir le marché des «specialty closures». Cette décision avait entraîné la fermeture d’une usine en République tchèque et un surplus de postes avait été créé au Luxembourg dans la foulée, en raison du transfert de ces mêmes activités, il y a quelques années, de l’Autriche vers le Luxembourg. Par ailleurs, le groupe vient de décider de se rapprocher géographiquement de ses clients issus de pays émergents (Afrique, Inde, Moyen-Orient). Ces régions sont actuellement desservies par le Canada et l’Europe.
«Je ne sais pas exactement quelles seront les revendications des syndicats qui ont demandé cette tripartite», déclare le ministre Franz Fayot. Il cite les difficultés dans le secteur avec les prix de l’énergie et des matières premières qui entraînent un ralentissement de certaines activités. «La main publique ne peut qu’encourager les partenaires à se mettre autour d’une table pour trouver un plan de maintien dans l’emploi avec l’aide du ministère de l’Économie et du ministère du Travail», conclut le ministre.
Tout ce qui existe dans l’arsenal législatif pour sauver les emplois sera étudié, du chômage partiel au prêt de main-d’œuvre, les instruments seront largement utilisés, promet le ministre.
Robert Fornieri n’en demande pas moins, qui rappelle que le fer de lance du LCGB c’est la cellule de reclassement, «qui a déjà fait ses preuves par le passé». Une chose est sûre : le plan social est exclu pour les syndicats.
Pour l’OGBL, la cellule de reclassement externe n’est pas nécessaire quand le problème peut être réglé en interne avec les instruments existants.
Patrick Freichel, secrétaire central à l’OGBL, indique qu’il n’y a pas de cahier de revendications établi, mais une continuation des thèmes discutés dans le secteur, à commencer par la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. «Parallèlement, des salariés sont victimes de décisions prises par des actionnariats étrangers avec des plans de réduction qui nous tombent dessus», observe, inquiet, le syndicaliste. «Si on regarde la pyramide des âges, il est temps d’agir et même si cette tripartite portera sur une discussion générale, elle s’inscrira tout de même dans un contexte actuel, avec des plans de maintien dans l’emploi», insiste Patrick Freichel.
Les instruments sont là, comme chacun n’a de cesse de le répéter, mais des employeurs dégainent les plans sociaux. «Ce n’est pas normal si on négocie un plan de maintien dans l’emploi, d’avoir un plan social derrière», juge-t-il encore.
La problématique de la main-d’œuvre, c’est une problématique pour la Fedil, estime-t-il encore : «Qui veut faire du travail posté? Il faut être attractif, donner des perspectives de carrière, un emploi de qualité dans l’industrie». Il fustige aussi la formation qui fait défaut parce que rien ou très peu a été fait pour se mettre au goût du jour.
S’ajoutent à ces constats, des différences de salaire qui s’effacent en cherchant bien, sans compter les 35 heures d’un côté et les conventions collectives sectorielles de l’autre. «Celles et ceux qui vont faire le trajet tous les jours, ce ne sera pas pour rien», prévient Patrick Freichel. «Si on laisse partir les gens qualifiés maintenant, ils seront plus chers plus tard, donc il faut des réponses dans l’immédiat car c’est une évidence que dans l’industrie, il faut des gens qualifiés pour avoir des produits de qualité», déclare-t-il. Il y a déjà tellement d’automatisation qu’il faut des experts pour piloter les nouveaux systèmes.
Concernant l’éventuelle mise en place d’une cellule de reclassement externe, l’OGBL se dit quelque peu réticente parce que «ça déresponsabilise les entreprises». Le secrétaire central de l’OGBL estime que les moyens sont là pour trouver une solution de l’intérieur et chez Husky, ce sera un plan de maintien dans l’emploi : «Même si la menace d’un plan social est toujours là, nous le refuserons».
L’essentiel, c’est que le secteur se prépare pour l’avenir et le message, c’est qu’il faut garder les gens qui sont déjà dans la place. «La stratégie des intérimaires, ça ne marche plus, il y en a de moins en moins. Avant, les DRH passaient une annonce et ils trouvaient, maintenant, ils doivent être plus intelligents. Ce n’est pas la demande qui manque, mais les gens, donc ça met en péril tout le secteur industriel», conclut Patrick Freichel. Tout cela sera débattu lors de la tripartite, la semaine prochaine.