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Une rentrée au goût de victoire : «On m’a dit que je n’étais pas capable de réussir»


Arrivé il y a cinq ans au Luxembourg, Gabriel s’est accroché malgré les difficultés.  (Photos : didier sylvestre)

Parmi les élèves de retour sur les bancs du lycée ce matin, il y en a un qui savoure particulièrement ce moment : Gabriel, jeune Brésilien de 19 ans au parcours compliqué, s’est battu pour obtenir sa place.

À l’âge où d’autres poussent les portes de l’université, c’est au lycée technique du Centre que Gabriel Santos fait sa rentrée ce matin, ses cahiers, sa trousse et ses espoirs pour l’avenir, dans son sac à dos. Pour intégrer ce cursus de quatre ans menant au diplôme de technicien (DT) en administration et commerce, ce jeune Brésilien de 19 ans a fait preuve de ténacité et de courage.

Gabriel est né au Brésil et a grandi le long des plages de Salvador de Bahia, entouré de sa maman et de sa grande sœur. Il n’a pas connu son père. Ce Luxembourgeois les a abandonnés pour revenir au pays sans plus donner de nouvelles. Et c’est pour régler des démarches administratives liées à la filiation que tous trois ont débarqué au Grand-Duché il y a cinq ans. Gabriel venait d’avoir 14 ans. «Il n’était pas du tout question de rester, d’autant que ma mère avait son travail au Brésil», raconte-t-il dans un français quasi parfait. «Notre objectif était d’obtenir les papiers et de rentrer.» Mais sur fond de séparation compliquée, la situation s’éternise.

D’abord hébergée provisoirement chez une tante, puis une autre, la petite famille est finalement contrainte de s’installer pour de bon. Ce sera un minuscule studio à la Gare, faute de moyens. Brutalement coupé de ses amis et privé de tout repère dans ce pays inconnu et grisâtre dont il ne parle pas les langues, l’adolescent a du mal à s’acclimater. Il atterrit en classe d’accueil.

«Tout était tellement différent de ce que j’avais connu au Brésil. Le cadre scolaire y est beaucoup moins formel. J’avais une rage en moi contre l’école luxembourgeoise : je ne comprenais pas qu’ici, on doive lever la main pour parler, demander la permission de jeter un papier dans la corbeille… J’étais rappelé à l’ordre sans arrêt», se souvient-il. Des règles d’autant plus difficiles à appliquer que Gabriel, atteint d’un trouble déficitaire de l’attention (TDAH), peine à contenir son impulsivité en classe. De quoi irriter ses professeurs.

Cela n’empêche pas le jeune garçon de déplacer des montagnes. Alors que sa mère tire le diable par la queue et que les soucis s’amoncèlent à la maison, il apprend le français et le luxembourgeois en un temps record, boucle sa formation et ambitionne d’intégrer une 6e dans l’enseignement secondaire général. Contre l’avis des enseignants : «Ils me disaient que je n’étais pas capable de réussir, que je ferais mieux de m’orienter vers un DAP et d’aller travailler. Certains manquaient d’empathie, ils n’avaient aucune idée de ce que je vivais en dehors des cours», déplore-t-il.

À cette période, Gabriel apprend le décès de son père. Une épreuve, même s’il n’a eu que peu de contacts avec lui toutes ces années. En parallèle, dans son quartier, le jeune garçon subit quotidiennement le climat de violence, le trafic de drogue, la misère sociale. Quand il rentre du lycée, il enjambe les toxicomanes entassés dans son hall d’entrée. «Avant, je n’avais jamais vu personne avec une seringue dans le bras. Une fois, ils sont même rentrés dans notre bâtiment», décrit-il, encore terrifié. La nuit, il est réveillé par les cris des dealers et les descentes de police.

Menacé d’exclusion, il veut tout laisser tomber

Accepté à sa demande en 6eG au lycée des Arts et métiers – il veut progresser en luxembourgeois – ses efforts ne suffisent pas à compenser le retard accumulé : Gabriel choisit de redoubler pour se donner encore une chance. «J’aurais pu me décourager, mais je n’ai pas lâché et j’ai finalement réussi. Je tenais à poursuivre ensuite en DT administration et commerce.»

Les mois passent, le rapprochant de son objectif. Mais à quatre semaines de la fin des cours, tout bascule. Un après-midi, à la bibliothèque, Gabriel a la mauvaise idée d’occuper ses mains qui ont la bougeotte avec le cutter qui lui sert habituellement de taille-crayon. Un surveillant lui tombe dessus : l’outil est considéré comme une arme blanche, Gabriel est suspendu. La direction lui pose alors un ultimatum : le DAP ou l’exclusion. «Je crois qu’ils en avaient juste marre de moi. Je m’étais donné tant de mal pour éviter le DAP, et voilà que tout s’écroulait», explique-t-il. «C’était le chaos, j’étais épuisé mentalement et physiquement.»

À bout de forces, démuni face à l’institution, il pense tout laisser tomber. Comme ces gamins de la classe d’accueil qu’il a parfois recroisés et qui ont mal tourné. «J’aurais pu sombrer à ce moment-là», soupire-t-il. En dernier recours, il fait appel au médiateur scolaire et obtient un entretien avec le directeur du lycée technique du Centre. «Je lui ai dit que je voulais valider ma 5e, que j’étais déterminé à aller jusqu’au DT.» Le chef d’établissement lui ouvre grand ses portes : Gabriel peut à nouveau respirer et s’inscrit en 4e quelques jours plus tard.

Alors, ce matin, en préparant ses affaires dans la petite chambre du nouvel appartement où il vit avec sa mère, son sourire ne l’a pas quitté. Gabriel sait que ce ne sera pas facile, mais réalise aussi tout le chemin déjà parcouru. «Oui, je suis fier. Quand tu n’es pas né ici, c’est beaucoup plus difficile. Les profs ne semblent pas en tenir compte. Certains m’ont soutenu, d’autres, enfoncé. Au fil de mon parcours, j’ai beaucoup appris», note-t-il.

«Aujourd’hui, je pense différemment. Peu importe les propos négatifs ou les déceptions, je me concentre sur ce qui est important et je me sens prêt à construire ma vie.» Une fois son diplôme en poche, Gabriel ne sait pas s’il restera au Luxembourg, ou s’il retournera au Brésil, comme sa sœur, devenue avocate. Il verra le moment venu. Pour l’heure, il a hâte de démarrer les cours : «Cette rentrée, je la vois comme une nouvelle bataille à mener, et la guerre je vais la gagner.»