Lancée par Lëtz Atom, cette pétition demande au gouvernement de reconnaître l’utilisation de l’énergie nucléaire.
Le 26 avril 1986, un nuage radioactif survolait l’Europe. À l’approche de la date anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, le Luxembourg fait partie des pays européens réticents à l’utilisation de l’énergie nucléaire.
Dans une pétition publique déposée le 17 février dernier, Benjamin Ptak relance le débat sur le nucléaire dans le pays. Pour l’étudiant luxembourgeois en master en ingénierie nucléaire à l’université de Pennsylvanie et président de Lëtz Atom, le recours à l’énergie nucléaire au Grand-Duché n’est plus un sujet tabou. «Aujourd’hui, il existe une minorité qui parle pour la majorité, la plupart des Luxembourgeois sont favorables au développement de la filière nucléaire. C’est de l’ordre de 52 % d’opinion positive pour l’énergie nucléaire», affirme-t-il en citant le sondage Eurobaromètre.
Avec Lëtz Atom, une association luxembourgeoise d’une dizaine de personnes, il promeut l’usage de l’énergie nucléaire et sensibilise le public à cette question. Fondé en 2024, le groupe milite pour l’indépendance énergétique et les avantages de cette ressource. La pétition demande ainsi l’annulation d’une mesure législative luxembourgeoise excluant le recours à l’énergie nucléaire. Ils militent pour que «le gouvernement du Grand-Duché étudie les bénéfices que l’énergie nucléaire pourrait apporter au pays».
La transparence et la communication «à améliorer»
Le gouvernement du Grand-Duché a rappelé sa position critique à l’égard du nucléaire. Au cours de la séance du 11 septembre 2024, le Conseil de gouvernement a adopté un avis critique «à l’égard de la prolongation de la durée de vie de certains réacteurs de 1 300 MW, notamment celui de la centrale nucléaire de Cattenom». De son côté, le ministère de l’Économie du Grand-Duché compte poursuivre ce qui a été annoncé dans l’accord de coalition pour la période 2023-2028 affirmant que «le gouvernement interviendra auprès des autorités françaises et belges pour obtenir la fermeture des centrales nucléaires à risque, notamment les sites de Cattenom, Tihange et Doel».
Quant à la prolongation de la durée de vie des centrales de 1 300 MW à Cattenom, le gouvernement entend suivre de près «les évolutions en matière de prolongation éventuelle de durée de vie de la centrale nucléaire de Cattenom», précisant que «la transparence complète et la communication immédiate lors d’un quelconque incident seront à améliorer».

«Un suicide politique»
Le Luxembourg serait en mesure d’investir dans la filière nucléaire. Donc Benjamin Ptak regrette un manque de volonté politique. «Nous avons parlé aux élus, à des députés. La plupart d’entre eux ne sont pas contre, mais cela serait un suicide politique de se positionner en faveur du nucléaire», affirme-t-il. Lëtz Atom espère donc que le gouvernement du Grand-Duché se décide enfin à étudier toutes les possibilités de l’utilisation du nucléaire. «Le secteur financier investit déjà massivement dans les énergies renouvelables, donc pourquoi ne pas faire de même pour des réacteurs nucléaires? La transition vers le tout-renouvelable a un coût énorme. À titre d’exemple, il faudrait pas moins de 10 000 milliards d’euros de budgets pour l’Allemagne pour devenir entièrement renouvelable», explique le représentant de Lëtz Atom.
À travers sa pétition, le collectif Lëtz Atom souhaite que la question du recours à l’énergie nucléaire soit sérieusement abordée à la Chambre des députés. C’est pourquoi, le collectif appelle à un projet nucléaire européen commun avec la construction à la chaîne de plusieurs centrales. Celui-ci permettrait tout d’abord au pays de se libérer de sa dépendance énergétique vis-à-vis de ses voisins européens, estime Lëtz Atom.
Rappelons que l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR), établissait qu’en 2023, le Luxembourg avait importé 77,7 % de l’électricité consommée, provenant essentiellement d’Allemagne. Letz Atom ajoute que 30 % de la production nucléaire suffirait pour l’approvisionnement en électricité, donc 70 % pourrait être utilisé pour le chauffage urbain par exemple. Une source de chaleur qui, selon l’association, permet même de désaliniser l’eau de mer. «Avec seulement une centrale, nous pourrions devenir le premier pays 100 % nucléarisé et donc arriver à une neutralité carbone», ajoute fièrement Benjamin Ptak.
Alors, où mettre une centrale nucléaire? Pour Lëtz Atom, l’emplacement idéal serait Schengen. «Cattenom étant proche de la Moselle, le fleuve apporte la quantité nécessaire en eau pour le refroidissement des réacteurs», détaille Benjamin Ptak. Au passage, le collectif tient à rassurer. La fumée émanant des cheminées n’est pas de la pollution, mais de la vapeur d’eau. Une eau qui n’entre jamais en contact avec la partie radioactive.
Une pétition «très étonnante»
Pas certain que l’idée plaise à Roger Spautz, spécialiste de la question nucléaire chez Greenpeace Luxembourg. «Le gouvernement luxembourgeois s’est montré très ferme sur le sujet. Le risque d’accident existe toujours et on a vu à Fukushima ce que cela a engendré. Je trouve cette pétition très étonnante, sachant qu’il y a peu de signatures pour l’instant», s’étonne l’activiste. Il rappelle que la durée de vie initiale des centrales est de 40 ans. «Les autorités françaises ont par la suite décidé d’étendre la durée de vie de leurs vieux réacteurs comme à Tricastin. Mais les risques d’incident augmentent avec la prolongation, notamment sur certaines pièces. De plus, les cuves et les enceintes ne peuvent pas être remplacées», s’inquiète-t-il.
Construire de nouveaux réacteurs coûte plus cher que de prolonger les anciens, avance Greenpeace. Quant à la question de l’indépendance, pour Roger Spautz, l’uranium resterait importé. La question du stockage et du traitement des déchets se pose également. «Sans compter que le nucléaire reste plus coûteux que les énergies renouvelables, regardez l’exemple de Flamanville» conclut-il.
La pétition n° 3577 de Lëtz Atom est ouverte aux signatures depuis le 19 mars dernier. Si elle atteint 4 500 signatures, les membres de Lëtz Atom pourront soumettre l’objet de leur pétition devant la Chambre des députés.
Une «opposition historique»
L’idée ne date pas d’hier. «L’opposition au nucléaire, elle est historique. On peut remonter aux années 1970 avec le projet de construire une centrale nucléaire à Schengen», se remémore ce membre fondateur de Greenpeace Luxembourg.
Déjà à l’époque, le débat suscitait une opposition. Un avis de 1976 du Conseil économique et social (CES) établissait que «le taux d’augmentation annuel de la consommation d’énergie électrique» allait doubler dans les années à venir, que des solutions devraient être envisagées pour éviter la dépendance aux voisins européens. En raison du coût et du volume d’énergie produite, le CES excluait de construire une centrale.
Depuis Remerschen, le mouvement antinucléaire luxembourgeois a perduré, même si les militants n’ont pas pu empêcher la centrale de Cattenom de sortir de terre. Aujourd’hui, Greenpeace fait partie du comité d’action luxembourgeois contre le nucléaire. Ce comité réclame, entre autres, l’arrêt immédiat et définitif des centrales nucléaires aux frontières avec le Luxembourg et une politique européenne refusant le nucléaire à tous les niveaux.