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Une expo Bert Theis pour prendre de la hauteur au Mudam


Un montage photographique grand format de Turin par Bert Theis. (photo bert theis)

Avec «Building Philosophy – Cultivating Utopia», le Mudam rend un hommage appuyé au regretté Bert Theis, décédé le 14 septembre 2016. À découvrir jusqu’au 25 août.

Instituteur devenu artiste, Bert Theis n’était jamais loin quand Enrico Lunghi, directeur tour à tour du Casino Luxembourg-Forum d’art contemporain puis du Mudam, parlait des plus grands noms de l’art contemporain luxembourgeois. Du coup, il tenait depuis longtemps à lui offrir une grande rétrospective de son œuvre. La voilà, enfin, occupant tout le vaste espace du niveau -1 du Mudam ainsi qu’un bout du rez-de-chaussée. Theis n’est plus là pour la voir et Lunghi n’est plus le directeur des lieux, mais sa remplaçante à la tête de l’institution du Kirchberg a tenu à finir le travail entamé par son prédécesseur. «Nous sommes heureux, ravis et privilégiés de pouvoir présenter cette exposition», a immédiatement précisé Suzanne Cotter.

L’exposition reprend l’ensemble de la carrière de Theis, du début des années 1980 jusqu’au milieu de la décennie 2010. Une manière de (re)découvrir, dans un espace malgré tout assez réduit, la densité, l’intensité et la variété du travail de ce natif de Luxembourg, qui a passé les dernières années de sa vie dans le nord de l’Italie. «C’est une exposition importante, précise Enrico Lunghi, commissaire de l’exposition, car c’est la première grande rétrospective du travail de Bert Theis.»

Pas facile pourtant d’imaginer sa mise en espace car «il y a peu d’objets», puisque le travail de Theis trouvait souvent son sens «dans un contexte et une situation précise», explique le commissaire. Qu’à cela ne tienne. Si on ne peut montrer les œuvres souvent monumentales et placées dans l’espace public –plateformes, pavillons, miradors, balustrades de ponts… – créées par Theis, on peut montrer des photos, des maquettes, etc. Et puis, l’artiste a également produit des œuvres de taille plus réduite, dont on trouve de nombreux originaux dans les différentes salles du musée. Il y a les Drifters, ces œuvres-meubles qui font partie de la collection du Mudam, il y a les montages photographiques grand format de Turin (photo), Paris ou Tirana, ces centres-villes envahis par une végétation luxuriante, il y a encore cet espace recouvert de sable au fond duquel le visiteur trouve de petits tabourets mis à sa disposition et d’étonnants casques audio réalisés avec des coquillages.

Des œuvres à la fois pratiques et fantaisistes

Autant d’œuvres à la fois pratiques et fantaisistes, où le quotidien côtoie l’évasion, où l’utile devient futile, à moins que ce ne soit l’inverse. Des œuvres aux couleurs discrètes voire sans couleur, Theis tenant à ne jamais «participer à la pollution iconographique». Des œuvres qui, toutes, appellent à la réflexion, à la prise de position, à la pensée philosophique. Que ce soit ses collages des débuts, ce caisson lumineux avec une écriture en braille –«à quoi sert de la lumière à un aveugle?», s’amuse Enrico Lunghi– ses affiches politiques, ses recherches qui l’ont amené à délaisser l’art pictural ou encore dans son projet d’utopie sociale Isola Art Center dans un quartier démuni de la classe ouvrière de Milan.

En regardant en arrière, le parcours artistique de Theis pendant 30 ans semble on ne peut plus cohérent, malgré la variété des sujets traités et des moyens utilisés pour parvenir à son but. Tout le temps, il cherche, discrètement, sans agresser l’œil, à accrocher le visiteur, le passant, comme par exemple à travers ses nombreuses plateformes placées dans les parcs ou dans les places mais aussi ses pavillons, ou encore ses «text works», qui peuvent prendre la forme tant d’un vitrail que d’un travail de ferronnerie.

Pour apprécier le travail de Bert Theis, il ne suffit pas de bien ouvrir les yeux ou les oreilles, il faut avant tout ouvrir son esprit. S’ouvrir à l’autre aussi. Aller à sa rencontre. Entamer la discussion. Rêver ensemble. Et ne pas négliger la lutte sociale quand cela est nécessaire! Et ainsi sentir sa présence, sa place dans le monde qui l’entoure.

Des travaux pleins de finesse, que l’on peut aisément rater dans l’espace public si l’on n’y prête pas assez attention, mais qui suscitent le dialogue, la controverse parfois aussi, ainsi que l’introspection, quand on y prend soin. Une manière de proposer un éveil philosophique de tout un chacun, sans jamais l’imposer à quiconque mais en l’offrant au tout venant, avec humour. Car pour Bert Theis, l’art était avant tout un outil d’émancipation, une manière de lutter contre les injustices et pour un monde meilleur. Une manière de créer une utopie, de prendre de la hauteur. Physiquement ou moralement!

Pablo Chimienti