Le gouvernement a présenté, jeudi, sa stratégie pour la promotion de la langue luxembourgeoise. Composée de dizaines de mesures, elle s’étalera sur 20 ans. Convaincu du rôle central que vont jouer les questions de langue et d’identité au cours des élections communales d’octobre prochain, la coalition au pouvoir entend ne rien laisser à ses adversaires.
En 2016, la pétition n° 698 en faveur de l’instauration du luxembourgeois comme première langue administrative avait récolté plus de 14 000 signatures : un record. Lucien Welter, l’autoproclamé «citoyen ordinaire» à son origine, a depuis intégré les rangs de l’ADR. Mais si l’histoire semble se terminer là, la dimension politique du débat autour de la valeur à accorder à la langue nationale n’aura pas échappé à la coalition au pouvoir, qui a présenté jeudi une «stratégie pour promouvoir la langue luxembourgeoise».
Sauf qu’à l’analyser de près, cette «stratégie», quand bien même globale et impressionnante, se révèle plutôt décevante, et ce à plusieurs égards. Qu’en est-il? L’action projetée s’articule autour de «quatre mesures fortes» déclinées en 40 sous-mesures, aussi précises dans leur façon de prendre en compte certaines inquiétudes que vagues. Concernant la faisabilité de ces mesures, le gouvernement s’expose au reproche de mener une politique purement symbolique et finalement bassement démagogue pour occuper le terrain en vue des communales d’octobre prochain.
À côté du renforcement de l’importance de la langue luxembourgeoise, le gouvernement s’engage à faire progresser la normalisation, l’utilisation et l’étude du luxembourgeois, de même qu’à promouvoir l’apprentissage de la langue et de la culture luxembourgeoises comme de la culture en langue luxembourgeoise tout court.
«Un consensus large»
Parmi les quatre mesures principales, on trouve à côté d’initiatives déjà connues comme la création d’un poste de commissaire à la langue luxembourgeoise, l’inscription du luxembourgeois dans la Constitution ou sa reconnaissance comme langue officielle de l’Union européenne, l’esquisse d’un «plan d’action sur 20 ans pour une politique linguistique et culturelle» et la création d’un Centre pour le luxembourgeois (une sorte d’Académie française chargée de veiller sur la langue nationale).
Pour renforcer la place du luxembourgeois, le gouvernement veut accorder plus d’importance à la documentation de l’histoire de la langue ainsi qu’à la traduction de «certains contenus en ligne» sur les sites de l’administration publique. La normalisation et l’utilisation ainsi que l’étude de la langue se poursuivront notamment à travers la promotion des règles orthographiques par le biais de sites tels que le dictionnaire en ligne (LOD) ou l’initiative schreiwen.lu.
Pour assurer l’apprentissage de la langue et de la culture du pays, le gouvernement voit comme une nécessité de garantir la présence de personnel luxembourgophone dans toutes les crèches du pays et veut que les écoles internationales prévoient dans leurs programmes des cours de luxembourgeois. Il propose également une intégration linguistique en luxembourgeois pour les demandeurs et les bénéficiaires de la protection internationale. Dans le secteur de la santé, il est prévu d’élargir l’offre de cours de luxembourgeois.
Enfin, dans le but de promouvoir la culture en langue luxembourgeoise, le gouvernement prévoit l’introduction d’une journée nationale de la Langue et de la Culture luxembourgeoises ou encore d’un prix national destiné à récompenser les mérites de la langue.
Claude Meisch, le ministre de l’Éducation nationale, a constaté jeudi un «consensus large» dans la population, indépendamment de l’âge ou de la nationalité, de voir le luxembourgeois promu davantage. Une volonté donc qui n’émanerait pas des «bistrots de vieux» . Par conséquent, il ne s’agirait pas de «réanimer artificiellement» la langue sous la menace de «mouvements identitaires», mais de sonner l’ «heure de naissance d’une stratégie à long terme» afin de prouver que la promotion de la langue nationale est «compatible» avec celle du multilinguisme qui caractérise le pays.
Toutefois, le ministre n’a pas pu livrer encore de date précise pour la création du nouveau Centre pour le luxembourgeois ou du poste de commissaire à la langue. Il a évoqué hier des «mesures structurelles» dont la mise en musique devra de toute façon être opérée «dans le consensus» .
Le ministre semble optimiste lorsqu’il envisage que la reconnaissance du luxembourgeois au niveau européen puisse obliger les institutions européennes à répondre aux questions des citoyens «en luxembourgeois» . Force est donc de constater que la stratégie présentée hier s’adresse en premier lieu aux Luxembourgeois inquiets de l’avenir de leur langue et de leur culture. Moins aux gens qui vivent ou travaillent dans ce pays et qui s’intéressent à une réflexion intelligente sur ce que doit ou ne doit pas être le Luxembourg.
On se demande donc si moins n’aurait pas été plus et si le gouvernement n’aurait pas mieux fait de simplement proposer quelques mesures concrètes pour promouvoir la langue et la culture luxembourgeoises. Cela aurait suffi pour écarter le reproche de ne rien faire. Cela aurait également été l’occasion de faire preuve de sérénité dans un débat qui en manque cruellement.
Frédéric Braun