Un système bancaire parallèle: voilà ce qu’ont démantelé les enquêteurs européens qui décrivent un réseau tentaculaire de blanchiment d’argent de la drogue entre le Maroc, la France, la Belgique et les Pays-Bas, auquel ils estiment avoir porté un coup fatal la semaine dernière.
Les montants donnent le tournis : « il a pu être tracé 75 millions d’euros entre août 2015 et novembre 2016 » qui ont transité en France par ce réseau, a expliqué le procureur de la République de Marseille Xavier Tarabeux. A l’échelle internationale, les estimations « portent ces opérations de blanchiment à près de 400 millions d’euros sur les quatre dernières années ».
Au-delà de la saisie globale, la 2e plus importante de l’année, d’une valeur de 6,5 millions d’euros environ -plus de 5 millions d’euros entre la France et la Belgique, 7 kilos d’or, 10 kilos de cocaïne, ainsi que 785 kilos de cannabis- les montants blanchis impressionnent les spécialistes.
« Je travaille depuis seize ans à Europol et je n’ai jamais vu quelque chose comme ça », a expliqué Pedro Felicio, spécialiste portugais de la délinquance financière pour cet organisme.
Le système découvert constitue, d’après les enquêteurs, un véritable réseau bancaire parallèle, un « Hawala » (système traditionnel de paiement informel, dans la culture arabe), dont la tête était au Maroc.
« On est au niveau au-dessus des réseaux de trafics » de drogue, a mis en avant M. Tarabeux. Des collecteurs récupèrent l’argent des trafics et le remettent à un niveau supérieur. L’organisation fonctionne ensuite par « compensation entre les pays » effaçant toute traçabilité tout en limitant les transferts internationaux.
L’argent collecté dans un pays est disponible ailleurs sur le territoire ou dans un autre Etat. « Le montage repose à la fois sur le numéraire et sur la confiance entre les interlocuteurs », ainsi que « sur l’importance du trafic de stupéfiants », a souligné M. Tarabeux, en présence d’un magistrat d’Eurojust, d’un représentant d’Europol et d’enquêteurs français, hollandais et belges.
L’enquête a nécessité la coopération des services d’enquête européens, réunis au sein d’une « équipe commune d’enquête » constituée pour l’occasion et agissant sous la direction de la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille.
Le ministre français de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a félicité mardi « les gendarmes des sections de recherches de Paris, de Marseille, ainsi que les 425 enquêteurs et membres des unités d’intervention de la gendarmerie nationale (…) dont les investigations remarquables ont permis la neutralisation de ce réseau particulièrement actif ».
Tout a commencé par l’interception fortuite, par les douaniers, le 10 juin 2015 à Mornas (Vaucluse) d’un véhicule à bord duquel ont été retrouvés 298.000 euros en petites coupures.
Pendant un an, les enquêteurs ont mené des surveillances et analysé le système mis en place, avant de déclencher lors d’une collecte d’argent à Besançon une vaste opération coordonnée entre la France, les Pays-Bas et la Belgique. Le collecteur interpellé à Besançon « avait réalisé une dizaine de transports de fonds pour 61 millions d’euros », a expliqué M. Tarabeux.
A Paris, une épicerie servait de succursale où s’effectuaient dépôts et retraits. Les services de l’Hawala ne bénéficiaient pas qu’aux trafiquants: un commercial diamantaire, un gérant de société, un autre gérant de plusieurs commerces, un médecin généraliste ou encore une négociatrice immobilière ont été interpellés.
En France, l’affaire a donné lieu à 20 mises en examen, 18 mandats de dépôt, un contrôle judiciaire, ainsi que 3 mandats d’arrêt: un au Pays-Bas et deux au Maroc, dont la tête présumée du réseau. Une personne a souhaité un débat différé. Au total 50 personnes en Europe ont été arrêtées, la moitié sont aujourd’hui détenues.
« Cette affaire touche à ce qu’il y a de plus sacré pour les trafiquants » s’est réjoui le général David Galtier, qui dirige la gendarmerie de Provence-Alpes-Côte-D’Azur. « Nous avons réussi à remonter l’ensemble de la chaîne ».
« Comme l’avait compris il y a trente ans le juge Falcone (juge anti-mafia), la seule manière de lutter contre les groupes criminels, c’est la confiscation de leurs avoirs, pas les mettre en prison », a acquiescé M. Felicio d’Europol, ajoutant que pour les trafiquants, « Cash is still king » (« l’argent liquide est toujours roi », ndlr).
Le Quotidien / AFP