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Un parquet européen pour veiller aux deniers de l’UE


Olivier Salles est le directeur administratif intérimaire du futur parquet européen. Il est chargé de sa mise en place pratique en attendant son entrée en fonction à l'automne 2020. (photo Fabrizio Pizzolante)

Pour traquer les fraudes transnationales contre son budget, l’Union européenne se dote d’un parquet européen qui sera installé à Luxembourg à partir de novembre 2020.

Le parquet européen deviendra une réalité en novembre 2020. En attendant cette date, il commence à prendre ses marques au Grand-Duché où sera installé son siège. Olivier Salles, haut fonctionnaire de la Commission européenne, en assure provisoirement la direction administrative. Lundi soir, il était l’invité de la Maison de l’Europe, où il a expliqué en détail le fonctionnement de ce nouvel organe dont l’objectif est de préserver les intérêts financiers de l’UE.

Dans un article paru en janvier, l’éditeur juridique luxembourgeois Legitech compare le futur parquet européen à un «FBI européen». L’analogie est un peu osée et Olivier Salles se veut précis et insistant sur les attributions de cet organe qui doit officiellement entrer en fonction en novembre 2020 : «Le parquet européen a pour mission de protéger exclusivement les intérêts financiers de l’Union européenne, d’enquêter et de poursuivre les fraudes au budget de l’UE à l’échelle transnationale.» Les fraudeurs qui jouent à saute-mouton entre plusieurs pays européens privent chaque année les États membres de 50 milliards de recettes de TVA et ont détourné plus de 630 millions d’euros provenant des fonds structurels de l’UE en 2015, selon des chiffres du Conseil de l’UE.

Enquêtes compliquées et abandonnées

«Jusqu’à présent, les fraudes au budget européen impliquant plusieurs pays étaient peu poursuivies car la compétence des États membres s’arrêtait à leurs frontières nationales, les enquêtes étaient compliquées et, faute de ressources, souvent abandonnées», précise Olivier Salles. Ce haut fonctionnaire de la Commission européenne occupe provisoirement le poste de directeur administratif du parquet européen, le temps de la mise en place et du démarrage de cet organe qui sera installé au Kirchberg. Lundi soir, il était l’invité de la Maison de l’Europe où il a présenté au cours d’une conférence les attributions et le fonctionnement du parquet européen.

La création de cet organe de lutte contre la fraude au budget de l’UE émane de la volonté de la Commission européenne qui en a lancé l’idée en 2013. À l’issue de longues et épineuses négociations, 16 États membres de l’UE avaient annoncé la création du parquet européen en avril 2017. Leur nombre a depuis grimpé à 22, tandis que six pays n’adhèrent pas pour l’instant à ce projet qui repose sur une coopération judiciaire renforcée entre États membres.

Le parquet agira parallèlement au travail déjà mené par Europol, Eurojust ou l’OLAF, l’office anticorruption de l’exécutif européen. À la différence de ces organes et agences, «le procureur européen pourra engager des poursuites pénales, c’est réellement nouveau», souligne Olivier Salles.

Sur un plan pratique, le parquet sera dirigé par un procureur en chef épaulé par un collège de 22 procureurs (un par État participant) dont la nomination devrait être rendue publique dans les toutes prochaines semaines (lire ci-dessous). Ils orchestreront et dirigeront le travail de deux procureurs spécialement désignés dans chacun des 22 pays parties prenantes au parquet européen. Concrètement, ce sont ces procureurs délégués qui mèneront les enquêtes dans chaque pays avec l’aide de leurs forces de police nationales. Leur désignation interviendra en 2020.

Faciliter les recoupements

Une base de données informatique centralisera les informations sur les fraudes et fraudeurs. Les procureurs de chaque pays auront accès à cette base qui facilitera les recoupements et donc leur travail grâce à la mise en commun des informations. Illustrant son propos, Olivier Salles explique : «Ils pourront, par exemple, constater qu’une personne soupçonnée de fraude avait déjà fait l’objet d’une enquête pour des faits similaires plusieurs années auparavant ou qu’elle est déjà dans le collimateur des enquêteurs dans un autre pays.»

«Les soupçons ou les cas de fraude devront être obligatoirement transmis au parquet européen par les États membres», poursuit Olivier Salles. «Le parquet coordonnera le travail des procureurs délégués dans les pays et pourra donner des instructions précises, comme le fait de mener des interrogatoires, de placer des personnes sous écoute ou de procéder à des perquisitions.»

Le directeur administratif veut croire qu’avec cet instrument «il ne sera plus possible d’enterrer un cas de fraude, ou du moins cela sera plus difficile». Et au cas où l’un des procureurs délégué traîne des pieds dans une enquête? «Si dans un pays, une instruction n’est pas suivie d’effet, le parquet européen pourra demander au niveau supérieur de faire avancer les choses.»

Le parquet européen ne sera en effet pas le «FBI européen» rêvé par certains.

Fabien Grasser

Cinq absents

Outre le Royaume-Uni en passe de quitter l’UE, cinq autres États membres ne participent pas au futur parquet européen. Pour Olivier Salles, son directeur administratif, il convient de distinguer deux groupes de pays parmi ces absents : «L’Irlande, le Danemark et la Suède ont une culture et des traditions juridiques qui veulent limiter l’ingérence des autorités dans la vie des gens. Mais la Suède y réfléchit positivement…»

En revanche, l’absence de la Pologne et de la Hongrie a des motivations plus politiques, voire personnelles. En Hongrie, des proches du Premier ministre, Viktor Orban, dont son propre gendre, sont accusés de s’être considérablement enrichis en détournant des fonds européens.