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Un Café Créatif pour «recréer le lien social dans les cantons ruraux»


Ginette, Lyette et Christiane se sont rencontrées à l’atelier couture, où elles viennent justement pour se créer du lien social.

Depuis 2019, le Café créatif « De Fuedem deen eis verbënnt » organise des ateliers dans le canton de Redange pour décentraliser les projets de la capitale et recréer du lien social en ruralité. Reportage.

Au pied du château d’Useldange, dans le local de la ManuKultura, l’ambiance est à la création en ce mercredi de mois de mars. Assises autour d’une table, des femmes sont concentrées sur des bouts de tissus qu’elles décorent de motifs colorés. «Nous créons une couverture pour les enfants de la fondation Kriibskrank Kanner, Rachid est là pour leur expliquer à quoi elle va servir», explique Shirley Dewilde. Styliste-couturière spécialisée dans l’upcycling, elle est aujourd’hui aussi art-thérapeute. C’est elle qui anime l’atelier du jour du Café créatif «De Fuedem deen eis verbënnt» («Le lien qui nous unit» en français), dédié à l’upcycling textile. Elles se retrouvent un mercredi matin sur deux pour créer toutes ensemble. Bien qu’elles ne soient pas toujours toutes présentes à chaque fois. «Le but est de recréer le lien social dans les cantons ruraux qui s’est perdu au fil des années… J’ai grandi ici, j’ai vu la vie sociale s’éteindre», raconte-t-elle.

Ce matin-là, elles sont plutôt nombreuses à participer à l’atelier. «Nous réalisons un projet qui fait du sens. Nous passons du temps dessus, à créer quelque chose pour d’autres personnes qui en ont besoin», souligne Shirley. Sur une couverture où le logo de la fondation est brodé grâce à des t-shirts jaunes, les participantes ajoutent des petits bouts de tissu, eux aussi recyclés. «Il y a des bouts de vieux t-shirts, des morceaux de coton ou encore des restes de mon stock de tissus.» Sur ces morceaux de tissus, elles brodent des dessins en rapport aux quatre éléments. «Aujourd’hui, on part sur le thème de la mer», dit Shirley aux participantes. «Même si je lance le mouvement, la création reste relativement libre, chacune apporte sa touche et son expérience.»

La couture, pour initiées et débutantes

Au bout de la table, Fatima brode avec beaucoup d’attention le contour d’une baleine. «J’aime bien quand c’est bien fait», sourit-elle. Le mercredi est sa journée dédiée à ce qu’elle aime faire. «Je ne travaille pas et les enfants sont à l’école.» Elle vient alors aux ateliers pour «oublier le stress de la vie»»: «Ici, on discute et on travaille dans une ambiance amicale et tranquille.» Coudre lui permet aussi de faire ressurgir des souvenirs de son enfance. «Ma mère et ma sœur cousaient, moi, je n’ai jamais vraiment pu le faire… Mais en le faisant ici, cela revient petit à petit», se remémore-t-elle. Shirley est même surprise de ce qu’elle arrive à broder alors qu’elle ne savait pas le faire en arrivant ici.

Fatima décide de broder une baleine pour la partie de la couverture dédiée à la mer.

 

D’autres participantes sont, elles, très familières de la couture. C’est le cas de Fenia, styliste de profession. Lors de l’atelier, elle dessine un beau soleil et sélectionne des fils jaune et orange. «Je vais le continuer à la maison, j’aurai plus de temps… Pendant la nuit, quand je n’arrive pas à dormir», rigole-t-elle. Audiobook dans les oreilles, fil et aiguille dans les mains, Fenia est dans son élément. Et si elle vient à l’atelier, c’est parce que la personnalité de Shirley l’inspire beaucoup. «Elle est très gentille et créative, elle a toujours de bonnes idées! Je prends beaucoup de choses d’elle.»

«L’art comme médiateur»

De l’autre côté de la table, Ginette, Lyette et Christiane cousent en discutant. «Nous venons ici pour rencontrer des gens, échanger des idées et apprendre d’autres techniques», racontent les trois femmes. Elles se sont d’ailleurs rencontrées à l’atelier. Une preuve que la (re)création du lien social en milieu rural est utile. «Ce serait bien que les gens comprennent ce que le café créatif signifie», appuie Christiane, aiguille et bout de tissu à la main. Elle brode un oiseau que Shirley lui a dessiné en amont : «Les couleurs me plaisent beaucoup, mais ça donne un oiseau qui n’existe pas dans la réalité.» Juste devant Christiane, des morceaux de tissus carrés et très colorés sont posés les uns sur les autres. «Je les achète à des femmes iraniennes», explique-t-elle.

Au fur et à mesure de leur avancée, la couverture pour les enfants de la fondation Kriibskrank Kanner prendra forme. Au début, pour les inspirer, Shirley leur avait raconté l’histoire d’un petit hérisson qui hérissait ses épines, car il croyait qu’il devait être agressif. Jusqu’au jour où il a rencontré un petit garçon qui l’a aidé. C’est lui que Fatima avait décidé de broder. «Chacune s’approprie le projet», se réjouit Shirley. Et lorsque les participantes finissent une broderie, elles la donnent à Shirley qui les place sur la couverture, autour du logo jaune. «Nous nous partageons les tâches», dit Christiane. «Ici, nous utilisons l’art comme un médiateur», termine Shirley.

Christiane a ramené des bouts de tissus carrés qu’elle achète à des femmes iraniennes.

 

Un espace d’échange et d’apprentissage

Le café créatif De Fuedem deen eis verbënnt existe depuis 2019. Il est né de la rencontre entre Shirley et Christelle Delalle. Cette dernière est assistante sociale et agent régional d’inclusion sociale à l’office social du canton de Redange. «Il n’y avait pas beaucoup d’endroits où je pouvais envoyer mes bénéficiaires, alors j’ai dit à Shirley qu’il fallait créer quelque chose pour y remédier», se remémore l’assistante sociale. Elles ont regardé des lieux où s’installer. Et comme Shirley était déjà en contact avec l’ASBL A’Musée, elle s’est mise en relation avec Bénédicte, sa fondatrice, pour raccrocher leur projet à l’association.

Une fois chose faite, les ateliers ont commencé avec la couture : «Les bénéficiaires de protection internationale ne travaillant pas, il fallait trouver une base pour les toucher», explique Christelle. D’autant plus que ces personnes ne parlent pas toujours le français. «Ici, il n’y a pas besoin de savoir parler pour échanger, nous pouvons communiquer autrement. Mais les ateliers peuvent justement servir à l’apprentissage des langues!» Très vite, les ateliers ont rassemblé des personnes qui savaient déjà coudre et d’autres non et pour qui c’est simplement une occupation. «Je me souviens de ce monsieur tibétain qui cousait hyper-bien… Il était devenu le professeur de nos participantes», rigole Shirley.

«C’est multiculturel ici»

Le café créatif permet à certaines personnes «de remettre le pied à l’étrier avant de travailler» et à d’autres «de faire une transition douce entre leur arrivée au Luxembourg et leur entrée sur le marché du travail». «J’envoie aussi des personnes en dépression pour les sortir de l’isolement et de la solitude. Shirley, en tant qu’art-thérapeute, leur fait du bien», ajoute Christelle. D’autant plus qu’elles essayent de réaliser des projets ayant du sens. «Nous avons cousu des couvertures pour la Stëmm et la Wanteraktioun», illustre Shirley.

Mais le public accueilli ne s’arrête pas à ces bénéficiaires. Toute personne intéressée peut venir aux ateliers. «C’est multiculturel ici», note Bénédicte. «Il y a pleins de projets à Luxembourg, mais pas dans les cantons ruraux… Et lorsqu’il y en a, les gens ne le savent même pas», s’attriste-t-elle. Malgré tout, le café créatif De Fuedem deen eis verbënnt a son petit succès, que les trois femmes comptent bien essayer de faire perdurer. «Même si c’est la qualité qui compte, pas la quantité!»