Accueil | A la Une | Un ange passe au FlamencoFestival Esch

Un ange passe au FlamencoFestival Esch


Patricia Guerrero pousse le flamenco dans ses retranchements, le malaxe, le retourne, lui donne un souffle scénique. (photo DR)

Pour l’ouverture de la 12e édition du FlamencoFestival Esch, vendredi soir, Patricia Guerrero et sa compagnie, avec «Catedral», ont poussé le flamenco dans ses limites et tutoyé les cieux.

Appelez-là comme vous voulez : ange, déesse, idole… Patricia Guerrero est un peu de tout ça, et c’est pour cela qu’elle s’est construite une « cathédrale » sur mesure, nom de sa dernière création et arène de ses contorsions célestes. Le FlamencoFestival l’a connu alors qu’elle n’avait que 17 ans, et déjà promise à tutoyer les sommets de sa discipline. A l’époque, oui, elle étincelait. Aujourd’hui, une décennie plus tard, elle en impose. Et pour donner plus de poids à l’idée, elle convoque sur scène trois autres danseuses, un chanteur, un guitariste, deux percussionnistes-jumeaux, un ténor et son frère contre-ténor. Une grande famille réunie dans un sanctuaire aux odeurs d’encens et aux pratiques poussiéreuses.

Mais ici, le corps va s’insurger contre les traditions, et les femmes, ou plutôt une, vont s’affranchir de leur servitude qui les asphyxie. Du deuil à la renaissance. De la marionnette toute de noir vêtue, et aux mouvements incertains, à l’insurgée en robe rouge et aux cheveux volant au vent. Devant cette chrysalide métamorphosée en papillon, le public, habituellement si participatif et frétillant, est resté muet, ne laissant échapper que quelques rares murmures. Un silence de corrida, ou d’église, c’est selon. C’est qu’il n’a pas su définir ce qui se passait sous ses yeux, car Patricia Guerrero pousse le flamenco dans ses retranchements, le malaxe, le retourne, lui donne un souffle scénique.

Avec elle, la guitare sait se faire discrète, et le chant sporadique. Avec elle, le lieu saint s’anime sous des pulsations binaires et tribaux, et même les cloches ne suffisent plus à ramener le croyant à la raison. Avec elle, enfin, l’art est total, et non tributaire d’une pratique séculaire, à l’image de cet échange entre les deux ecclésiastiques et la danseuse, tout en interjection et humour. Une approche sophistiquée embellie par l’hôte de la soirée, le théâtre d’Esch-sur-Alzette, partenaire privilégié de la Kulturfabrik qui décidément, ne fait jamais dans la demi-mesure quand il s’agit d’ouvrir un festival qu’il porte depuis douze ans avec le Circulo Machado.

Mieux, avec Patricia Guerrero, il tient là sa plus belle ambassadrice, et sûrement pour longtemps encore.

Grégory Cimatti

A lire également : Flamenco all stars à la Kulturfabrik