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Un Américain en cavale dans le Longwy de 1979


Le réalisateur américain, à gauche sur la photo, présentera son film sur la crise de la sidérurgie à Longwy mardi soir, au Kinépolis longovicien (Photo : archives RL)

L’incroyable vie de Stephen Bingham pourrait faire un film. En 1978-1979, cet avocat américain a réalisé un documentaire sur les événements de Longwy… alors qu’il était recherché par le FBI ! Son film sera projeté  mardi 12 juin à Kinepolis.

Votre documentaire sur les événements de Longwy est signé Robert Boarts. Pourquoi ?

« A l’époque, je vivais dans la clandestinité. J’avais un passeport américain, mais pas à mon nom… En 1971, j’avais été accusé à tort d’avoir fait entrer une arme dans la prison de San Quentin, près de San Francisco, pour la donner à Georges Jackson, un prisonnier politique membre des Black Panthers. Je l’avais visité plusieurs fois, au sujet d’un procès civil qu’il voulait lancer concernant les conditions de détention dans la prison. Juste après notre dernière rencontre, il y a eu un carnage : trois gardiens ont été tués, ainsi que deux prisonniers et Jackson lui-même. J’ai été accusé, sans même une vraie enquête. Pour mes collègues du syndicat d’avocats et moi, ce n’était pas tellement surprenant… Je pense que le FBI voulait que Jackson meure : il était devenu trop dangereux. Tout le monde m’a conseillé de fuir immédiatement. »

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser aux luttes sociales dans la sidérurgie française ?

« En fuyant les États-Unis, j’ai décidé d’étudier le cinéma à l’Université de Paris-VIII, lieu considéré de gauche. Plusieurs années, j’ai été accepté dans un groupe produisant des films engagés avec des paysans. On mettait notre travail au service des militants, pour qu’ils les utilisent sur le terrain. Nos réalisations traitaient surtout des difficultés des petites exploitations… Et un moment, j’ai voulu mener mon propre projet. Je m’intéressais beaucoup à la politique : les grèves à l’usine Lip, le Larzac, etc. A cette période, beaucoup de choses ont bougé, de manière parfois assez dramatique. Et j’ai vu que des choses extraordinaires se passaient à Longwy. »

Pourquoi avoir choisi ce combat en particulier ?

« Longwy représentait la classe ouvrière au sens le plus symbolique : la production d’acier. Et il y avait des gens très engagés, à la CFDT. Eux-mêmes étaient en lutte contre leur confédération nationale qui ne voulait pas des actions aussi poussées, des trucs illégaux. Du coup, fin 1978, j’ai rassemblé des copains de l’école et nous sommes venus ici. Tout de suite, nous avons été mis en contact avec Robert Giovanardi, l’inspiration de beaucoup d’actions d’alors. »

Votre film n’a quasiment jamais été vu. Pourquoi ?

« Parce que je suis reparti aux Etats-Unis fin 1983 ! Nous avons montré le film une fois dans les locaux de la CFDT, pour les militants, en 1982 je crois. J’ai donné une copie aux gars du syndicat pour qu’ils le projettent. Mais la lutte était plus ou moins terminée et ils étaient tous très découragés. Le documentaire commence avec la dernière coulée à l’usine de la Chiers. A un moment, Robert interviewe un sidérurgiste immigré qui lui demande : « Mais qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? » Et Robert lui répond : « Ecoute, c’est un film pour essayer de comprendre ! » Pour moi, c’est un moment clef : je voulais que, même dans la défaite, on essaye d’expliquer ce qui s’était passé. A l’époque quelqu’un m’avait dit : « Tu sais, c’est un peu trop tard maintenant. Mais historiquement, les gens s’intéresseront à ça un jour… »

Propos recueillis par Xavier Jacquillard (Le Républicain Lorrain)

Longwy, mardi 12 juin à 20h30, au Kinépolis de Longwy