L’eurodéputée CSV Viviane Reding se dit déçue par l’attitude rigide des Américains qui ne font aucun effort selon elle. Le TTIP sera mis en veille, c’est inévitable. Mais le CETA reste le modèle.
Français et Allemands freinent des quatre fers et ne veulent plus négocier le TTIP avec les Américains dans ces conditions. La Commission européenne, qui avait un mandat du Conseil et du Parlement européen pour négocier, se verra retirer cette mission sans doute très prochainement.
Le Quotidien : En dépit des positions française et allemande en faveur d’une suspension des négociations, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, indique qu’il a un mandat pour les poursuivre. Que s’est-il passé ces derniers mois au niveau du TTIP?
Viviane Reding : Rien justement. Il ne se passe plus rien, ça piétine, ça n’avance pas! Les Américains ne font aucun progrès, aucun effort, ils nous disent qu’ils ne peuvent pas changer les lois, alors que nous Européens n’avons pas accès à leurs marchés publics à cause du « Buy American Act » qui est une loi protectionniste. Ils parlent beaucoup, mais rien n’avance. Le Parlement européen a tracé des lignes qui ne doivent pas être franchies, mais ils disent non à tout! Nous avons par exemple demandé un minimum de droits sociaux, mais ils n’acceptent même pas les conventions de l’OIT (Organisation internationale du travail) pour ne dire que ça!
Et je ne parle pas des problèmes liés aux OGM où il n’y a aucune avancée non plus et d’ailleurs aucune intention d’en avoir. Aucune de nos revendications de base n’est un tant soit peu acceptée par les États-Unis. On sait que ce gouvernement ne sera plus en fonction d’ici la fin de l’année et qu’il faudra sans doute attendre un an avant que le suivant soit prêt pour reprendre les négociations. Au vu des discussions lors de la campagne présidentielle, on a l’impression que ça va aller de pire en pire et déjà aujourd’hui, pour nous, cela ne va nulle part.
Vous vous êtes beaucoup investie pour suivre et rendre compte de l’état des négociations depuis 2013, êtes-vous déçue aujourd’hui?
Je suis déçue, car j’avais espéré un minimum de mouvement des Américains. Mais je n’ai rien observé, sinon de basses manœuvres. Ils étaient d’accord pour ne pas inclure dans la négociation la protection des données, mais par derrière ils font un lobbying du tonnerre! Cela n’a pas réussi d’ailleurs… J’avais introduit un amendement, un « Buy European Act », pour acheter européen et exclure des partenaires qui ne nous laissent pas entrer dans leurs marchés publics. Les Américains nous empêchent d’entrer dans leur marché, mais où va-t-on? Un peu de courage politique!
Le CETA, l’accord de libre-échange avec le Canada, est-il un modèle à suivre?
Oui. Nous avons besoin de règles sérieuses en matière de commerce extérieur et nous avons besoin d’un texte qui soit un modèle de référence et nous l’avons avec le CETA qui contient tout, de l’accès aux marchés publics aux droits sociaux et environnementaux en passant par les indications géographiques. Ce que nous demandons aux Américains, les Canadiens nous l’ont accordé dans un esprit de réalisme politique. Quand les Américains voudront avancer, ils reviendront, mais en attendant, l’accord de base sera celui avec le Canada.
Les ministres européens en charge du Commerce, qui doivent se réunir ce mois-ci, pourraient-ils lever le mandat de la Commission pour interrompre les négociations?
Oui, c’est possible. Ils vont laisser s’endormir la chose et se concentrer sur des dossiers plus importants.
Le TTIP n’était-il pas important? Nous pouvons donc nous en passer?
On vit dans un monde globalisé et mieux vaut des règles internationales bien ficelées qui nous préservent plutôt que la loi du « plus fort ». Je présente des règles claires et nettes qui protègent les PME et les petits pays.
Geneviève Montaigu