Taguer un pilier d’autoroute ou un mur des CFL, s’agit-il là de délits ou de contraventions ? Le parquet et la défense, qui a soulevé l’incompétence du tribunal, sont d’avis contraires.
Alors que démarre cet après-midi le procès de cinq jeunes auteurs de centaines de tags, l’avocat de l’un d’eux, Me Frank Rollinger, s’est offert un tour de chauffe hier matin avec une autre affaire concernant également des tagueurs. Alex, Chris et Leonardo, âgés de 22 et 23 ans, sont accusés d’avoir apposé leurs signatures à plusieurs endroits – un mur de soutènement des CFL entre Schifflange et Bettembourg et des piliers d’autoroute, de l’A13 notamment – entre août 2020 et fin novembre 2020. Chris est également accusé d’avoir tagué un mur de l’école primaire de Dudelange et celui de toilettes publiques en janvier 2019.
Interrogés chacun à leur tour par la présidente de la 16e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg, ces trois étudiants et artistes en herbe ont préféré garder le silence et renvoyer à leurs dépositions à la police. Les tags retenus par le parquet ne sont qu’une partie de leur œuvre. Ils les partageaient sur les réseaux sociaux et les enquêteurs de la police ne sont pas parvenus à tous les localiser pour les retrouver.
Me Rollinger a plaidé l’incompétence du tribunal pour juger de cette affaire. Selon lui, les trois jeunes hommes n’auraient pas dû se trouver face à une juridiction pénale, car les sanctions auxquelles ils sont exposés seraient en réalité des contraventions, comme le prévoit l’article 557-4 du Code pénal.
Il n’y aurait pas lieu de retenir l’article 526 du Code pénal contre ses mandants. Il s’applique pour «des monuments, statues ou autres objets destinés à l’utilité ou à la décoration publique et élevés par l’autorité compétente» et prévoit une peine de prison de huit jours à un an ainsi qu’une amende de 251 à 5 000 euros. Un article fourre-tout pour Me Rollinger. «Les tribunaux l’assimilent à toutes les constructions de l’État. C’est une question d’interprétation alors que le droit pénal requiert une interprétation stricte des textes», note-t-il après en avoir décortiqué le sens.
Des délits à sanctionner
L’avocat s’appuie sur un jugement de la 18e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 6 juillet 2017 ainsi que sur une loi spéciale concernant les chemins de fer luxembourgeois. Le jugement retient qu’ «une personne qui a souillé avec des graffitis» des portes et des murs doit recevoir «une contravention prévue à l’article 557-4». Soit une amende de 25 à 250 euros. Idem en ce qui concerne «une personne ayant volontairement dégradé un mur appartenant aux CFL moyennant l’apposition d’écritures avec deux feutres».
L’article 21 de la loi de 1859 sur les chemins de fer fait, quant à lui, également état de contraventions. L’article 74 d’un arrêté grand-ducal de 1952 complétant la loi le confirme. «Le parquet considère que si une loi spéciale est plus clémente que le texte général, c’est ce dernier qui prime», assure Me Rollinger. «Il n’est pas normal que les prévenus encourent des peines de prison pour avoir tagué des piliers d’autoroute, alors qu’ils auraient écopé d’une amende s’ils avaient tagué le mur d’une habitation privée.» La défense espère que le tribunal retiendra l’article 557-4. Dans le cas contraire, Me Rollinger invoque sa clémence et le prie de prononcer une suspension du prononcé ou une peine de travail d’intérêt général à l’encontre du trio.
Le représentant du parquet est d’avis contraire. Si l’action de taguer n’est pas un crime, elle n’en constitue cependant pas moins un délit qui ne peut rester impuni. «Les objets tagués ne leur appartiennent pas. En ce sens, ils n’ont pas à les dégrader», a-t-il estimé. Par conséquent, la 16e chambre correctionnelle serait donc compétente pour juger l’affaire.
Après avoir soulevé le dépassement du délai raisonnable, le magistrat s’est montré clément en requérant du travail d’intérêt général à l’encontre des trois étudiants pour «ne pas grever leur avenir». Il s’est rapporté à prudence de la chambre correctionnelle en ce qui concerne la restitution des bombes de peinture saisies lors de l’enquête. L’État, qui s’est porté partie civile, réclame plus de 10 000 euros pour couvrir les frais de nettoyage. Le prononcé est fixé au 23 mai prochain.
Le procès qui démarre cet après-midi face à la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg est prévu sur six audiences. Il concerne cinq prévenus qui contestent être les auteurs de tags. Pas moins de 200 au Grand-Duché, une centaine en Autriche et des centaines de milliers d’euros de dommages causés.