Le ministre du Travail n’est pas opposé à des centres de tri pour demandeurs d’asile en dehors du territoire de l’Union européenne. Il a dit tout haut ce que le gouvernement pense tout bas.
Les déclarations du ministre Nicolas Schmit, qui en matière de politique européenne d’immigration et d’asile se distinguent de la position du ministre de tutelle, Jean Asselborn, n’ont pas ébranlé le gouvernement, loin de là.
Vendredi, lors du Conseil de gouvernement, le sujet a tout juste été abordé. « Qu’est-ce que je peux dire? Nicolas Schmit va s’exprimer demain (NDLR : ce samedi) à la radio dans l’émission Background sur RTL et je verrai ce qu’il va déclarer », nous a curieusement répondu le chef de la diplomatie, Jean Asselborn.
Même son de cloche du côté d’un autre socialiste, le président de la commission des Affaires étrangères et européennes, Marc Angel, qui lui aussi attend que le ministre Schmit passe sur les ondes et se refuse pour l’instant à tout commentaire. C’est drôle, pensent-ils que le ministre du Travail va revenir sur sa position? Pas du tout. Ce qu’il a répondu à nos confrères du Wort dans une interview publiée vendredi matin est très clair et il n’a pas changé d’un iota ses déclarations, comme en témoigne l’entretien qu’il a accordé au Quotidien vendredi après-midi.
« Je déclare qu’il faut repenser la politique européenne d’immigration et d’asile, les deux choses étant très différentes », introduit le ministre. Il prédit que si les Européens ne parviennent pas à faire une véritable politique en la matière, « qui ne consiste pas à donner l’impression qu’on a perdu tout contrôle des flux », alors « l’espace Schengen va s’effondrer » et « on donne tous les arguments aux populistes ».
Le ministre reconnaît avoir changé sa vision des choses. Un calcul électoral? « C’est la situation et les faits qui m’ont fait changer d’avis et les faits sont têtus! », réplique-t-il. Sans craindre de surprendre, voire de choquer, Nicolas Schmit rejoint l’idée d’installer des camps de demandeurs d’asile en dehors de l’Union européenne, une proposition autrichienne précisément critiquée par Jean Asselborn, qui la qualifiait « d’idéologie d’extrême droite nationaliste ». Et alors que le LSAP apportait son soutien à son ministre camarade de parti lors de la cérémonie des vœux, voilà que Nicolas Schmit s’autorise à penser tout haut ce que le gouvernement pense tout bas.
Pour un discours honnête
Il dénonce « l’hypocrisie » qui consiste à laisser les gens franchir « les mers et les déserts à leurs risques et périls », pour les placer ensuite dans des procédures et finalement leur dire s’ils pourront rester ou non. « C’est horrible! », lâche Nicolas Schmit. « Je n’ai jamais été obsédé par nos frontières, mais si on ne donne pas aux citoyens européens ce sentiment qu’il y a des frontières, on ne va pas pouvoir garder cette noble idée de la libre circulation », poursuit-il.
Vendredi matin, lors du Conseil de gouvernement, Nicolas Schmit n’a pas trouvé beaucoup de monde qui pensait le contraire. « Je ne dirais rien d’autre, il a raison! », nous a déclaré la ministre Corinne Cahen en charge de la Famille et de l’Intégration. « Si on veut aider les gens qui ont besoin d’aide, il faut faire un tri pour éviter que ceux qui n’ont pas besoin d’aide viennent faire du tourisme en Europe et, sans statut, finissent par sombrer dans la criminalité », poursuit Corinne Cahen.
« J’ai trouvé que beaucoup de gens étaient d’accord avec moi, ou alors ils ne m’ont pas dit qu’ils étaient contre », confirme Nicolas Schmit. « Je défends les mêmes principes que Jean Asselborn, mais avec de bons sentiments on ne fait pas nécessairement une bonne politique », insiste-t-il en revenant sur « l’échec monumental », des Européens dans le dossier syrien. Des Européens qui se sont réveillés « quand les réfugiés et les migrants ont commencé à se déplacer vers le Nord », rappelle Nicolas Schmit.
« L’Europe ne doit pas être une forteresse, d’accord, mais on n’entre pas sur le territoire comme on veut. Pour la migration, il faut ouvrir une voie légale, mais je ne veux plus voir, comme à l’époque où j’étais ministre de l’Immigration, des bus qui partent le samedi matin de Belgrade et qui arrivent le dimanche matin directement devant le bureau des demandes d’asile », illustre Nicolas Schmit.
Il conclut en indiquant que l’Europe doit trouver des accords avec l’Afrique, car si tel n’est pas le cas, « on aura des répercussions politiques et sociales graves ».
Et de rappeler que « l’Europe n’est pas vaccinée contre le retour du nationalisme ».
Geneviève Montaigu
L’opposition monte au créneau
L’ADR n’a pas tardé à réagir aux propos de Nicolas Schmit auxquels le parti adhère totalement. Cependant, il estime ne plus y voir clair dans la politique du gouvernement en matière d’asile et d’immigration et demande donc que le ministre Jean Asselborn et le ministre Nicolas Schmit viennent s’expliquer en commission des Affaires étrangères et européennes.
« Notre groupe demandera également une rencontre avec le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères », déclare de son côté Laurent Mosar.
Le député CSV rappelle d’un air faussement innocent que le CSV avait critiqué les propos de Jean Asselborn envers son homologue autrichien et qu’à cet instant, le LSAP avait mal accueilli la sortie des chrétiens-sociaux. « Nicolas Schmit nous donne finalement raison aujourd’hui », se réjouit l’ancien président de la Chambre des députés.
C’est quand même encourageant de voir un ministre reconnaître publiquement qu’il a changé d’avis! Savoir reconnaître ses erreurs est la marque des hommes d’état.