Rouler dans le quartier de Bonnevoie est devenu un casse-tête qui met les nerfs des habitants à rude épreuve. Entre les travaux du tram et les autres chantiers, il faut s’armer de patience.
Depuis environ deux ans, les travaux du tram, mais pas que, cernent le quartier de Bonnevoie. «Déjà en temps normal, c’est un quartier composé de rues étroites où il n’est pas toujours évident de circuler», note Romain Engels, qui habite ce quartier qu’il chérit depuis 31 ans exactement.
«Actuellement, il me faut entre 15 et 25 minutes de plus pour entrer ou en sortir», explique le fringant retraité. Sans cesse lorsqu’il attend de la visite, son téléphone sonne pour lui demander par quel chemin accéder à son domicile, même sa fille qui a grandi et travaillé à quelques rues de là ne s’y retrouve plus. «Pourtant, elle connaît le quartier comme sa poche.» Un sujet de conversation dans les lieux de rencontre de Bonnevoie et un constat partagé. «On en rigole, on dit qu’on ne peut plus sortir du quartier.»
Un sentiment d’enfermement
«Les citoyens du quartier de Bonnevoie se sentent enfermés, sachant que le Rangwee qui était l’accès au rond-point Gluck (NDLR : pour accéder au réseau autoroutier A1/A3/A4/A6, au quartier Howald et à la Cloche d’or) est barré. Tout le trafic descend par la route de Thionville en direction du pont Buchler pour bifurquer en direction du rond-point Gluck. Idem en sens inverse, Bonnevoie est uniquement accessible du rond-point Gluck par la pénétrante Sud (NDLR : tunnel Bousser)», explique-t-il, carte à l’appui.
«Il y a trop de travaux en même temps, notamment rue du Pont-Rémy et un chantier débutera bientôt rue Gellé. Pourquoi ne pas avoir attendu la fin des travaux du tram? Beaucoup de trafic routier venant de l’est traverse le quartier de Bonnevoie pour accéder au centre-ville, en passant principalement par la rue Pierre-Krier», poursuit-il. «De la route de Thionville en direction du pont Buchler avant de bifurquer en direction du rond-point Gluck, les voitures s’arrêtent régulièrement jusqu’au Howald! Dimanche, je me suis rendu compte, lorsque j’étais au rond-point Glück que j’avais oublié mon portefeuille… il m’a fallu 55 minutes pour retourner chez moi (NDLR : rue Nicolas-Martha) et revenir.»
La fin du télétravail a révélé le problème
Pour échapper au pire, Romain Engels attend 10 h pour commencer à utiliser sa voiture et la rentre au garage à 15 h 30. «Je peux me le permettre, car je suis retraité, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. De nombreux habitants historiques du quartier sont âgés et ont du mal à s’adapter aux nouvelles contraintes.» Alors que cette situation dure déjà depuis de longs mois, pourquoi Romain Engels réagit-il seulement maintenant? «Avant, il y avait la période covid durant laquelle beaucoup de personnes étaient en télétravail. Lorsque le télétravail s’est arrêté, nous avons vraiment ressenti les effets sur le trafic.»
L’habitant de Bonnevoie insiste : «Ce n’est pas une critique, la commune fait plein de choses formidables et je ne voudrais pas être à la place de ceux qui travaillent à gérer la circulation, il y a tellement de travaux partout, c’est un casse-tête. En plus, j’aime profondément mon quartier. Nous sommes près de la ville et juste à côté des champs, c’est une chance énorme.»
Un commerçant au bord de la rupture
«Ces travaux sont un vrai problème pour les commerçants», indique Makni Mohsan, le gérant de la boucherie Lux Halal au numéro 11 de la route de Thionville. Un petit îlot de commerçants totalement encerclé par d’impressionnants travaux. Pour y accéder, il faut du courage, attendre patiemment que les voitures coincées dans les embouteillages devant l’entrée laissent l’accès libre et en attendant, les clients qui veulent y accéder bloquent eux-mêmes la circulation pour arriver sur un parking particulièrement poussiéreux.
«Espérons au moins que ces travaux vont être bénéfiques au quartier. Je ne comprends pas la gestion de ce chantier, j’ai certaines fois l’impression qu’il y a un manque de coordination entre les différents acteurs : Luxembourg ville, Luxtram et les Ponts et Chaussée», poursuit le commerçant qui se sent abandonné après avoir contacté les trois acteurs sans obtenir de réponse. Après une période de covid, le gérant craint de «crever comme tant d’autres» sans qu’on l’aide.
«D’excellents clients m’ont demandé de les excuser car ils ne viennent plus depuis un an. C’est trop compliqué pour eux. Ceux qui viennent me disent « viens regarder l’état de ma voiture », surtout quand il pleut. Nous nettoyons la boutique jour et nuit tellement il y a de poussière alors qu’on travaille tout de même avec de la nourriture. Lorsque des gros engins de chantier sont présents, il n’y a pas un chat, ça fait peur aux clients. Ils pourraient au moins nous donner les plannings pour qu’on puisse commander moins de viande ces jours-là…»
Il assure que le restaurant et l’épicerie à côté souffrent aussi de la situation et lui-même ne parvient plus à cacher sa détresse et sa peur : «Nous sommes une dizaine. Comment allons-nous nourrir nos familles si l’on ferme? C’est une bonne boucherie, qui est connue, ce serait dommage.» Il espère voir les travaux accélérer.
Des petits réajustements à opérer
Romain Engels ne vient pas qu’avec des problèmes, il propose aussi des solutions, comme changer le minutage du feu au bout de la route de Thionville. Alors qu’il nous promène dans le quartier pour nous montrer les différents points de blocage, nous attendons, hors heure de pointe, trois feux rouges d’affilée avant de pouvoir tourner à gauche. Pourtant, le feu vert pour aller tout droit reste, lui, allumé une fois que toutes les voitures sont passées. Des petits réajustements, c’est tout ce qu’il souhaite. D’autant que, comme une majorité de la population, il est totalement favorable à la création d’une ligne de tram.
Autre problème pour les habitants de la partie résidentielle habituellement plutôt très calme, les nombreuses déviations amènent les automobilistes dans ces petites rues ainsi que les bus et les bloquent. «J’ai conscience que quand on habite en ville, il faut accepter ce genre de désagréments. On n’est pas à la campagne, il y a de la circulation, c’est normal. Mais notre qualité de vie a considérablement baissé, et cela devrait durer jusqu’en septembre.»
Plus près des commerces, une nouvelle génération semble moins gênée par les embouteillages : «Au quotidien, on circule à pied. Je prends la voiture une fois en semaine pour aller à la Cloche d’or faire les courses et pour emmener ma fille à la danse, heureusement en dehors des heures de pointe. Donc ça roule plutôt bien!», s’exclame Claire Pegurri, 38 ans, qui a quitté Paris pour rejoindre avec sa famille le quartier de Bonnevoie en août dernier.
« L’extension du tram est un beau projet »
Elle a la chance d’habiter tout près de son lieu de travail, la brasserie Beaulieu. «Le fait que les transports soient gratuits et qu’il y ait le parking du Bouillon désengorge considérablement la ville de la circulation. Après Bonnevoie c’est compliqué en ce moment avec les travaux du tram. On perd 10 minutes (NDLR : depuis la rue des Légionnaires). Ce n’est pas catastrophique non plus, surtout qu’une fois les travaux terminés cela va encore beaucoup améliorer la qualité de vie ici. L’extension du tramway est un beau projet. Perso, je suis pour les villes piéton-vélo-tramway. Du coup, moi je le vis bien parce que je sais que c’est pour la bonne cause.»
C’est aussi un peu l’avis de Maya qui vit depuis 11 ans dans le quartier, tout près des commerces. «Là je m’apprête à aller à mon cours de danse à Esch-sur-Alzette, et il me faut environ 10 minutes de plus. Mais je ne ressens pas trop le trafic, car comme beaucoup de gens qui habitent à Bonnevoie, on se déplace souvent à pied, surtout les familles, sauf celles dont les enfants vont à l’école européenne ou internationale. J’ai une copine à Howald et j’ai le sentiment qu’ils sont plus embêtés par la situation.»
Deux générations et deux parties du quartier qui ne vivent pas les choses de la même façon. L’arrivée du tram et la fin des gros travaux mettront peut-être tout le monde d’accord.
Les Ponts et Chaussées conscients de la situation
Des désagréments même à vélo
Le retraité sportif, ancien professeur de fitness, a l’habitude de se déplacer à vélo «car ça va plus vite», mais là encore il se heurte aux travaux pour aller vers la Cloche d’or. Il a interrogé l’administration des Ponts et Chaussées à ce propos et sur l’ensemble des difficultés rencontrées, elle lui a affirmé être «consciente que la situation actuelle est tout sauf agréable et qu’elle met les nerfs à rude épreuve. […] Par ailleurs, la commune de Luxembourg, dans le cadre du chantier du Pont Buchler que [les Ponts et Chaussées] réalisent, a réservé une voie dans le tunnel aux bus et l’a donc bloquée.
Cette situation malheureuse se poursuivra jusqu’à l’été. Pour la rentrée 2022, la N40 (nouvelle N3), entre le pont Buchler et la rue de Neufchâteau, sera opérationnelle et apportera un premier délestage. De plus, les travaux du pont Buchler seront achevés dans un proche avenir, ce qui contribuera également à l’amélioration de la fluidité du trafic.
En ce qui concerne votre question concernant les itinéraires cyclables, nous vous renvoyons au site www.mobiliteit.lu, où vous avez la possibilité de choisir vos différents itinéraires.»
Quinze jours plus tôt, Romain Engels a également contacté le collège échevinal qui lui a répondu. Sur le site vdl.lu une carte permet de voir tous les chantiers en cours et de trouver davantage d’informations notamment sur les dates.