« Une usine à gaz », une « paperasserie » complexe et chronophage : de nombreuses entreprises allemandes s’agacent des exigences imposées par l’administration française aux employeurs étrangers qui « détachent » leurs salariés en France, au point de crier parfois au « retour des frontières » en Europe.
L’agacement risquait même de se transformer en indignation le 1er janvier 2018, car ces formalités étaient censées devenir payantes, avec l’instauration d’un « droit de timbre » de 40 euros par mission de détachement. La nouvelle taxe n’entrera cependant pas en vigueur : quelques jours avant Noël, le ministère français du Travail a annoncé qu’il y renonçait en raison notamment des doutes émis par la Commission européenne sur la légalité d’une telle mesure.
Reste que certaines des entreprises concernées, notamment celles implantées près de la frontière et qui veulent effectuer une prestation de service à quelque kilomètres, en France, voient une forme de « protectionnisme déguisé » dans ces mesures imposées depuis 2015. Un marchand de meubles veut envoyer un technicien pour installer une cuisine chez un client français ? Une PME veut missionner un de ses représentants dans un salon de recrutement en Alsace ? Sous peine d’amende, les employeurs concernés doivent en faire la déclaration préalable auprès de l’administration française, via un portail internet dédié. Ces règles visent à faciliter le contrôle des travailleurs détachés pour mieux lutter contre le dumping social.
Mais pour de nombreuses entreprises visées, les formalités sont trop complexes et fastidieuses, au point de décourager les employeurs – y compris les entreprises « honnêtes » qui respectent la réglementation sur les salaries et les charges sociales – de venir effectuer des prestations en France. « Tout ça nous prend beaucoup de temps, et ne nous permet pas de réagir rapidement aux demandes de nos clients », explique Maik Förster, patron de la société allemande Stage Concept, qui vend des prestations de sonorisation et d’éclairage. « Si un client nous sollicite deux jours avant un événement, nous n’avons pas le temps de faire les déclarations nécessaires », déplore Maik Förster, qui dit « ne pas comprendre qu’on puisse ainsi reconstruire des frontières en Europe ».
« Les entreprises ont peur »
L’obligation de déclarer au préalable le détachement d’un salarié découle de la directive européenne sur les travailleurs détachés – dans sa version de 1996, toujours en vigueur, même si elle fait actuellement l’objet d’une renégociation – et plus exactement d’une loi de 2015 qui a modifié certains effets de cette directive dans le droit français. Le seul fait d’omettre la déclaration préalable est désormais passible d’une amende administrative de 2 000 euros par mission concernée. « Nous avons eu le cas d’un cuisiniste qui a dû payer 8 000 euros d’amende ! A cause de ces contrôles, les entreprises ont peur », témoigne Pascale Mollet-Piffert, en charge de ces questions à la chambre de commerce et d’industrie (IHK) de Lahr et Fribourg. « Un vendeur d’électroménager ne peut même plus livrer une machine à laver à un client français sans être soumis à cette obligation. Et il faut recommencer la procédure à zéro pour chaque mission », pointe-t-elle.
Selon un sondage en ligne mené l’été dernier par l’IHK de Lahr, 30% des entreprises concernées indiquent avoir réduit leur activité en France du fait de ces procédures. Et quasiment la moitié dénonce « un obstacle bureaucratique ». Parmi les pesanteurs dénoncées, le fait que le portail internet ne soit disponible qu’en français et en anglais, mais aussi l’obligation pour les employeurs de désigner un « correspondant » maîtrisant un minimum le français, chargé de les représenter dans leurs démarches auprès de l’administration. « Nous n’avons pas forcément des agents germanophones », se défend Philippe Sold, de la direction régionale du Travail à Strasbourg. « Nous assumons d’être rigoureux » sur l’obligation de déclarer le détachement au préalable, « car sinon, comment nos agents sauraient-ils où mener des contrôles ? », explique-t-il.
Seule éclaircie en vue pour les entreprises concernées : le ministère français du Travail vient d’indiquer qu’il pourrait simplifier la procédure début 2018, notamment en faisant en sorte que la déclaration préalable soit valable pour une année entière.
Le Quotidien/AFP