Tandis que leurs homologues français, belges et allemands ont protesté contre le traité UE-Mercosur, les agriculteurs luxembourgeois restent à l’écart des manifestations, mais pas de la protestation.
L’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Bolivie…), source d’inquiétude dans toute l’Europe, a ravivé les braises de la colère agricole surtout en France, où près de 80 actions ont eu lieu lundi soir.
De l’autre côté de la frontière, dans le département de la Moselle, une quinzaine de ronds-points étaient enflammés à l’initiative des syndicats. Contagieuse, la gronde française, qui s’est poursuivie mardi, a aussi mobilisé les agriculteurs des pays frontaliers. À Strasbourg, lundi soir, plusieurs centaines de tracteurs français et allemands bloquaient le pont de l’Europe qui relie les deux pays, tandis que les Belges rejoignaient eux aussi leurs voisins en manifestant à Havay.
Quid du Luxembourg ? En février dernier, les agriculteurs luxembourgeois, coordonnés par l’ASBL Lëtzebuerger Landjugend a Jongbaueren, s’étaient mobilisés par solidarité en bloquant le pont de Schengen avec leurs homologues allemands et français. Neuf mois plus tard, aucun tracteur luxembourgeois n’est de sortie. Du moins, pour l’instant. «Il est possible que l’on participe avec les copains des pays voisins, annonce Marco Koeune, le président de la Baueren-Allianz (l’Alliance paysanne), mais à ce jour, aucune position n’a été prise en vue d’une manifestation.» «Nous sommes très proches de madame la ministre, elle connaît notre position, donc il n’y a pas besoin de manifester», ajoute-t-il.
Des réunions en vue avec la ministre
«Je ne crois pas qu’il y aura des manifestations au Luxembourg, nous n’en avons pas tant besoin, car l’accord ne nous impacte pas autant que les grands producteurs agricoles de l’Union européenne» estime, quant à lui, Christian Wester, le président de la Centrale paysanne. Par culture et habitude, les agriculteurs luxembourgeois ne manifestent pas et s’organisent plutôt afin de «préparer le Landwirtschaftsdësch (Table de l’agriculture) du 12 décembre», comme le fait savoir Marco Koeune. Cette échéance, qui réunira les agriculteurs, leur ministre de tutelle, Martine Hansen, et le ministre de l’Environnement, Serge Wilmes, occupe l’esprit des agriculteurs, mais n’occulte pas l’actualité brûlante.
«Nous sommes en train de planifier la Table de l’agriculture et, après cela, nous allons, si possible, faire des réunions avec la ministre sur le Mercosur», promet Christian Hahn, le président de la Chambre d’agriculture. Car la suppression des droits de douane qu’entraînerait l’accord de libre-échange envisagé avec des pays d’Amérique du Sud inquiète et irrite aussi les agriculteurs luxembourgeois.
«Nous ne sommes pas pour, car ce n’est pas déterminé avec des clauses miroirs», argumente Christian Wester. Ce type de clauses, qui impose aux pays tiers les mêmes normes de production qu’en Europe, serait absent de l’accord. Dans ce cas, «il s’agirait d’une concurrence déloyale, car ils ont d’autres standards pour leurs produits», dénonce Christian Hahn. Moins contraints par des réglementations de l’autre côté de l’Atlantique, les produits importés seraient donc vendus en Europe à «des prix beaucoup moins chers».
«Plus à perdre qu’à gagner»
Pour les agriculteurs, l’impression de devoir tolérer l’intolérable les chagrine. «Les agriculteurs se disent : « Mais ce n’est pas possible, chaque année, nous avons de nouvelles lois pour tout, la nature, l’eau, l’air, et après on veut laisser entrer chez nous des produits irrespectueux de tout cela ».» Tandis que les exploitants luxembourgeois doivent réduire leurs émissions d’ammoniac, gaz provenant du lisier et du fumier, de 22 % d’ici 2030, «quelle réduction d’ammoniac applique l’Argentine?» interroge le président de la Chambre d’agriculture. «Zéro. Alors, c’est déloyal.»
Outre le non-respect des standards européens, Marco Koeune, lui aussi «absolument contre», estime que le libre-échange bilatéral ne présenterait «aucun avantage pour les cultivateurs luxembourgeois». «Oui, nous exportons du lait, mais cela resterait minime.» Christian Wester est du même avis : «Il y a des secteurs qui vont en profiter et d’autres qui vont y perdre. Notre opinion est que nous avons plus à perdre qu’à gagner.» Christian Hahn abonde dans son sens : les producteurs luxembourgeois seraient «sûrement» impactés négativement. Il comprend dès lors les manifestations : «Ce sont des fermiers qui ont peur pour leur existence.»
En France, un deuxième jour de colère
La mobilisation des agriculteurs s’est poursuivie en France, mardi. Selon France 3 Grand Est, une soixantaine d’agriculteurs étaient mobilisés en Moselle dans la commune d’Apach, à deux pas de la frontière et de Schengen. En Meurthe-et-Moselle, un rassemblement devant la préfecture à Nancy a eu lieu dans l’après-midi, tout comme dans la Meuse, à Bar-le-Duc, avec un dépôt impressionnant de panneaux d’entrée de village. Dans les Vosges, la mobilisation a eu lieu dans la nuit de lundi à mardi dans trois lieux au même moment : la préfecture d’Épinal et les sous-préfectures de Neufchâteau et de Saint-Dié-des-Vosges. Ailleurs en France, les agriculteurs étaient actifs dans le Sud-Ouest, notamment, où des barrages routiers empêchaient les camions venant d’Espagne de circuler.