Mardi, les enquêteurs ont montré une partie des vidéos effectuées dans le quartier de la Gare en 2015 avant l’arrestation du réseau nigérian de Wasserbillig.
Des guetteurs qui quadrillent le quartier, des dealers qui se mettent à courir à l’arrivée de la police… Le procès du réseau de stupéfiants nigérian de Wasserbillig a entamé, mardi matin, sa deuxième semaine avec la visualisation de certaines observations vidéo des enquêteurs. Pendant douze minutes, la salle d’audience a reçu un aperçu sur le déroulement du trafic de drogues dans le quartier de la Gare à l’été 2015.
« Les 31 séquences visionnées ne représentent pas tout notre matériel. C’est une goutte d’eau dans l’océan, a tenu à remarquer l’enquêteur au début de la cinquième audience du procès. Et si on avait observé tous les jours la scène, on nous aurait vite remarqués. »
Les premières images d’une caméra fixe montrent cinq personnes en train de courir. L’un des hommes tient son portable à l’oreille. «Sans doute prévient-il les autres dealers, commente l’enquêteur. Tous ont habité au « G33 » – quatre d’entre eux se trouvent sur le banc des prévenus.» Quelques instants plus tard, on voit arriver une patrouille de police. «S’il n’y avait pas eu ce contrôle, on aurait eu à cet endroit une douzaine de dealers nigérians», poursuit l’enquêteur.
Toutes les séquences visionnées à l’audience ont un point en commun : jamais le dealer n’apparaît seul. Dans les parages, il y a toujours au moins un guetteur. Que le trafic ait lieu dans un recoin à l’abri des regards, à travers la vitre d’une voiture ou en pleine rue, la méthode ne diffère guère : «Le client tend l’argent. Le dealer dirige sa main vers sa bouche. Il sort la boule et la remet au client.»
Dans une autre scène, deux clients tentent de vendre leur montre. Le dealer, visiblement pas intéressé, leur montre la sienne. Et leurs chemins se séparent. Des fois, un intermédiaire intervient. Un exemple : le dealer sort la cocaïne de sa bouche. Le client n’en veut pas. Le dealer repart. Il fait signe à un autre dealer. Ce dernier s’approche, sort de sa poche les sachets d’herbe et poursuit son chemin.
À l’époque des observations à l’été 2015, le quartier autour de la rue Joseph-Junck et de la rue de Strasbourg était quadrillé par les Nigérians. «À tous les croisements, ils surveillent. Et au moindre doute, ils tirent la sonnette d’alarme.» Les enquêteurs ont passé des nombreuses heures dans la zone. «On a vu comment ils ont réagi. On a vu la façon dont ils nous ont regardés. Ils ne se trouvent pas simplement là. Ils font attention à qui passe en voiture.» Et que se produit-il quand une patrouille de police débarque dans la zone? «Cinq à dix minutes plus tard, ils reviennent et reprennent leurs postes d’observation.»
Le 27 octobre 2015, la police frappait un gros coup contre le réseau de stupéfiants nigérian de Wasserbillig actif dans le quartier de la Gare à Luxembourg. «Depuis cette opération, le quartier autour de la rue Joseph-Junck et la rue de Strasbourg est libéré des dealers en journée. Aujourd’hui, on les retrouve plus du côté du Rousegäertchen et de l’avenue de la Gare, à des horaires différents», constate l’enquêteur.
«Comment réparer les toilettes les yeux clos ?»
La plupart des 18 revendeurs qui se trouvent actuellement sur le banc des prévenus ont été arrêtés au «G33» à Wasserbillig. Hier l’enquêteur a commencé à décortiquer les auditions de neuf d’entre eux. Tous minimisent leur vente de stupéfiants ainsi que leurs contacts avec Henry P., le livreur au «G33».
L’audience s’est achevée avec l’audition d’un Nigérian qui a travaillé pendant deux mois au «G33» quand son propriétaire Joseph E. se trouvait en vacances. «Il m’a dit que des gens viennent dormir et que je dois noter leurs noms dans un registre et encaisser l’argent.» Les connaissances du témoin sur l’aménagement et les activités au sein de la maison s’arrêtent toutefois là. C’est du moins ce qu’il prétend. «Je n’avais rien à voir avec les chambres.» Le témoin dit ne pas avoir parlé avec les occupants : «On n’a pas la même langue. Je viens d’une autre tribu.»
Bref, le témoin affirme ne pas avoir été au courant du trafic de drogue au «G33». Alors que selon les observations policières il aurait dû voir le livreur Henry P. une soixantaine de fois à Wasserbillig, il dit l’avoir vu seulement à deux, trois reprises. Son explication : «Je ne peux pas travailler 24 h/24.»
Le tribunal a du mal à croire les déclarations du témoin et soulève que ce dernier a déclaré avoir dû un jour réparer des sanitaires au «G33». «Pour vous y rendre, vous êtes forcément passé par d’autres pièces, lui lance le président. Comment vous êtes-vous orienté dans l’immeuble, si vous ne voyiez rien ? Comment avez-vous réparé les toilettes, les yeux fermés ?» Sans succès. Malgré l’insistance du président, le témoin n’en dira pas plus.
Le procès se poursuit ce mercredi après-midi avec l’audition des enquêteurs.
Fabienne Armborst