Des irrégularités dans l’achat et la revente de voitures entre 2007 et 2009 ont fini par conduire l’agent responsable du parc automobile du SREL devant le tribunal correctionnel de Diekirch. Le parquet estime qu’il a fait fausse route. Le procès s’est ouvert lundi après-midi.
L’année 2020 semble être l’année des procès des ex-agents du SREL. Après celui autour des fameuses écoutes de 2007 au printemps dernier, c’est désormais au tour du tribunal correctionnel de Diekirch de se pencher sur une autre ancienne histoire : un trafic dans le cadre du système d’achat et de revente de voitures de service du SREL. Sur le banc des prévenus : l’ancien agent Jean-Jacques K. (59 ans). Les faits que le parquet lui reproche remontent à la période comprise entre février 2007 et fin 2009. À l’époque, le quinquagénaire s’occupait de la gestion du parc automobile du service de renseignement.
Le prévenu est ainsi poursuivi pour détournement du prix de vente de quatre véhicules du ministère d’État (SREL) pour un montant total de 140 960 euros et pour blanchiment de cet avantage patrimonial. Il doit en outre s’expliquer sur la prise illégale d’intérêts. Car il aurait profité des conditions spéciales accordées par le constructeur allemand au ministère d’État et aux détenteurs d’un passeport diplomatique pour acquérir quatre véhicules à des fins privées. Il est question de deux BMW pour lui-même, une pour sa désormais ex-épouse et une autre pour sa sœur. Enfin, le parquet lui reproche d’avoir commis en 2009 des faux en écritures (et un usage de faux) pour justifier notamment auprès du vendeur de la régularité des opérations.
Aujourd’hui, Jean-Jacques K. n’est plus au service du SREL. En tant que fonctionnaire d’État, il travaille pour la direction de l’Immigration, c’est-à-dire le ministère des Affaires étrangères. Les faits qui le conduisent aujourd’hui devant la justice avaient d’abord fait l’objet d’une procédure discipline. Ce n’est qu’au printemps 2013 qu’il y a eu dénonciation au parquet. Et il a fallu attendre septembre 2016 pour qu’il soit une première fois entendu par la police judiciaire.
Treize ans après : la défense invoque le dépassement du délai raisonnable
Le parquet a parlé lundi après-midi à l’ouverture du procès d’un «travail de fourmis» entre toutes les analyses des comptes bancaires et celles des fichiers nationaux de la SNCA. L’avocat Me Jean Lutgen avait invoqué le dépassement du délai raisonnable, «Le premier fait reproché remonte à treize ans et huit mois!», et demandé l’irrecevabilité des poursuites. Le tribunal a décidé de joindre l’incident au fond. «On n’a pas traîné dans ce dossier complexe», avait estimé le parquet.
Après avoir demandé à BMW en Allemagne la liste de toutes les voitures commandées entre 2007 et 2010, le nouveau directeur du SREL, Patrick Heck, avait pu constater en comparant aux documents internes certaines incohérences. Il y avait non seulement les achats à des fins privées pour lesquels Jean-Jacques K. avait profité des prix de BMW accordés à l’État luxembourgeois, mais aussi des abus au niveau de la revente de voitures de service du SREL. L’enquête avait permis de retracer la disparition en 2009 d’une BMW X6 (49 500 euros) et d’une BMW 535 (30 500 euros). Pour le premier véhicule, l’agent avait expliqué avoir été victime d’un vol. Dans une autre version, il disait avoir touché une enveloppe avec des faux billets… Ce n’est qu’une fois interrogé par le directeur du SREL qu’il avait fini par rembourser l’argent manquant dans la caisse du service de renseignement.
Lors de la vente d’une BMW 330, les 26500 euros avaient carrément atterri sur le compte du prévenu. Ce qui n’était pas la procédure normale, selon la comptable entendue lundi. À l’époque, il arrivait que le SREL mette en vente des voitures de service dont il n’avait plus besoin. Mais une fois la facture établie, c’est la comptable qui recevait l’argent par virement sur le compte ou en liquide.
Six audiences, onze témoins
C’est également la comptable qui avait pris en charge la gestion du parc automobile après 2010. Elle se souvient s’être rendue à Munich sur ordre du directeur du SREL. Ce n’était pas pour acheter de nouvelles voitures, mais pour parler de toutes ces incohérences. «Et que vous y a-t-on dit?», voulait savoir le tribunal. «Que Jean-Jacques K. leur avait fait croire qu’il achetait des voitures pour le compte de l’État. Mais ce n’était pas le cas…» «Le SREL n’achetait pas non plus de voitures à son nom pour ensuite les faire immatriculer au nom de personnes privées», précisera encore le témoin.
Les agissements de Jean-Jacques K., selon l’enquêteur, s’expliqueraient par sa situation financière de l’époque.
Au total, six audiences sont prévues pour ce procès. L’audition des témoins se poursuit jeudi matin. Parmi la liste des onze témoins appelés dans cette affaire, il y a aussi des responsables de BMW et au moins un ancien directeur du SREL.
Fabienne Armborst