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Tirs mortels à Bonnevoie : « Tirer sur la voiture ne l’aurait pas arrêtée »


Le policier a tiré à trois reprises : à travers le pare-brise avant, la portière passager et le pare-brise arrière. (Photo : archives lq/fabrizio pizzolante)

L’enquêteur de l’IGP a mis en avant une attitude ambiguë du prévenu envers les armes et son goût du risque. Et le doute subsiste toujours quant au danger qui l’a encouragé à tirer.

« La victime a été touchée à la poitrine et au bras droit », a rappelé hier un enquêteur de la police technique. Le 11 avril 2018, un jeune policier blessait mortellement un automobiliste d’origine néerlandaise qui avait refusé de se plier à un contrôle de police à Bonnevoie. «La Mercedes était accidentée. La plaque d’immatriculation à l’avant était maintenue par de l’adhésif et un phare était défectueux», énumère le policier à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg hier après-midi.

Lors de leur patrouille à pied, le prévenu et deux coéquipiers avaient repéré la Mercedes en stationnement, l’avaient photographiée et avaient vérifié si elle était signalée. Ils apprendront plus tard que le conducteur de 51 ans était sous le coup d’une interdiction de conduire.

« Il prenait trop de risques inconsidérés »

Le prévenu, inculpé d’homicide volontaire, estime avoir tiré en état de légitime défense alors que la voiture fonçait droit sur lui. Les témoignages de ses anciens collègues mettent à mal cette version. Après les faits, un de ses coéquipiers a dit «avoir eu peur que cela finisse par arriver étant donné son impulsivité», rapporte un enquêteur de l’Inspection générale de la police (IGP). Certains coéquipiers ne voulaient plus faire de terrain avec le jeune homme, «parce qu’il prenait trop de risques inconsidérés». «Il attendait une fusillade» ou «jouait régulièrement avec son arme de service», a résumé l’enquêteur de la police des polices.

Pourtant, alors que l’attitude de celui qui n’avait que huit mois de service à son actif semblait poser problème à ses collègues du commissariat de Bonnevoie, aucun de ses supérieurs n’aurait essayé de la corriger, a regretté la présidente de la chambre criminelle. «Peut-être son attitude n’était-elle pas si grave que cela? Et cela n’exclut pas le fait qu’il s’est peut-être effectivement trouvé en situation de légitime défense. Ces propos illustrent peut-être uniquement une facette de sa personnalité», note-t-elle.

Le doute subsiste

Ne voulant exclure aucune piste, elle a également interrogé l’enquêteur sur «la proportionnalité des moyens» utilisés. «Lors de leur formation, les jeunes recrues apprennent qu’il ne faut pas tirer sur une voiture, car cela met leur propre vie et celle des autres en danger. Et cela n’arrête pas la voiture. Même après être passée sur une herse, une voiture peut continuer de rouler sur trois kilomètres», répond le policier, qui dit s’être interrogé sur le bénéfice retiré par le prévenu en tirant au lieu de tenter de se mettre à l’abri.

Un argument saisi au vol par Me Penning. «Il aurait voulu mettre sa propre vie en danger pour le plaisir de tirer sur quelqu’un? Il n’a pas eu le temps de se mettre à l’abri, c’est tout!», s’offusque l’avocat du jeune homme, qui rappelle l’extrême vitesse à laquelle les faits se sont produits. Au dixième de seconde près.

Plus été en situation de danger imminent

Le prévenu a tiré à trois reprises sur la voiture, qui l’a finalement évité avant de taper le muret d’une maison et d’arrêter sa course contre un arbre de la place Léon-XIII. «Les deux derniers tirs sont, pour moi, un réflexe», avance l’enquêteur, et d’indiquer que l’angle de tir relevé par l’expert en balistique était de 30 degrés. «Quand il a appuyé sur la détente, il a dû bouger son bras. En tirant droit sur la voiture, il ne l’aurait pas touchée», analyse-t-il. «Il a dû se tourner pour tirer sur la voiture, elle n’était donc plus dans sa trajectoire.» Et, donc, le policier de 22 ans au moment des faits n’aurait plus été en situation de danger imminent.

Après trois jours de procès et divers rapports d’expertise, difficile d’y voir clair dans cette affaire. La personnalité du jeune homme décrite mercredi par les experts psychiatres et psychologues, son obsession pour l’action et la justice ainsi que la relation ambiguë avec les armes décrite par ses anciens collègues semblent faire pencher la balance en sa défaveur.

Manque d’expérience

D’un autre côté, la précipitation et le manque d’expérience du prévenu peuvent également expliquer son geste. L’enquêteur de l’IGP a expliqué que les policiers n’étaient pas formés à la course poursuite, qu’ils disposaient uniquement d’une brochure de 2008. Une réponse qu’il avait déjà donnée en juin dernier au tribunal de Diekirch lors du procès de l’accident de Lausdorn. Le 18 avril 2018, un policier avait perdu la vie au terme d’une course poursuite qui avait mal tourné.

Le film de la reconstitution des faits, qui sera projeté ce matin, permettra peut-être d’y voir plus clair sur les circonstances qui ont amené le prévenu à dégainer son arme et à faire feu.