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Tirs mortels à Bonnevoie : 30 ans de réclusion requis contre l’ancien policier


Deux lectures des faits s'affrontent. Le parquet ne croit pas en l'argument de légitime défense avancé par le prévenu et l'accuse d'avoir assouvi un fantasme. (Photo : archives lq/fabrizio pizzolante)

L’ancien policier a créé les conditions lui permettant de «vivre ses fantasmes», selon le réquisitoire du parquet hier. Un réquisitoire «trop simpliste», a noté la défense.

Trente ans et meurtre. Les mots sont tombés hier après-midi face à la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. La représentante du parquet est persuadée que tout le parcours de l’ancien policier de l’école de police au commissariat de Bonnevoie était destiné à mener aux faits débattus depuis plus de deux semaines. Ce «Docteur Jekyll et Mister Hyde (…) a mis huit mois pour y parvenir». Il aurait vu, affirme-t-elle, dans la situation du 11 avril 2018, une opportunité de «vivre ses fantasmes».

Le prévenu n’a pas perdu ses moyens face au danger comme il le prétend, avance-t-elle. Il a mis à profit les enseignements reçus à l’école de police et a attendu le moment propice pour se mettre en état de légitime défense et «plomber» quelqu’un. Elle en veut pour preuve la précision des tirs, les témoignages de ses anciens collègues sur son rapport avec les armes à feu, une tendance au voyeurisme morbide décelée par les experts psychiatres, une absence d’empathie pour la victime et son regard glaçant après les tirs décrit par un témoin.

« Une exécution ciblée »

Depuis quatre ans, la magistrate doute de la version du prévenu, même si dans un premier temps elle avoue y avoir cru. La voiture de police, redémarrée et calée immédiatement après les faits, recouvrait des traces de freinage de la Mercedes. Elle s’interroge. Le prévenu aurait-il voulu cacher que la Mercedes pouvait l’éviter et ainsi construire sa théorie de la légitime défense? Les témoignages des anciens collègues du prévenu ont fini de la convaincre qu’il fallait ouvrir une instruction et demander le renvoi du prévenu pour meurtre, explique la représentante du parquet avant de conclure à «une exécution ciblée» et d’exclure la nécessité absolue de faire usage de son arme de service.

Elle demande au tribunal de retenir le meurtre et requiert une peine de réclusion de 30 ans à l’encontre du jeune homme. En ce qui concerne un éventuel sursis partiel, elle rappelle «le potentiel dangereux» du prévenu souligné par l’expertise psychologique.

«Sa vie ou celle de l’automobiliste»

Me Philippe Penning dénonce un procès d’intention mené contre son client qui souffrirait notamment d’aprioris défavorables. «C’était sa vie ou celle de l’automobiliste. Le prévenu a le droit de penser avoir agi en légitime défense», lance-t-il à la barre avant de faire le procès de l’instruction dispensée par l’école de police et de s’appuyer sur l’absence de consignes claires dans différents cas de figure. «Après deux ans d’école, il est jeté seul dans le grand bain.»

Pendant plus de deux heures trente, l’avocat de la défense n’a pas dévié de sa stratégie de départ : légitime défense, rapidité des faits, vitesse de réaction et proximité du danger qui n’ont laissé d’autre choix au prévenu que de tirer sur la Mercedes. Et ce, même si, on l’a entendu à de nombreuses reprises durant ces deux dernières semaines, on ne tire pas sur une voiture. Pour différentes raisons. Me Penning se base sur les scénarios possibles évoqués dans le rapport d’accidentologie.

« Il n’y avait pas d’intention de tuer » selon l’avocat

La théorie du parquet serait «simpliste» et le tribunal «attend l’impossible» de la part du prévenu. Il en veut pour preuve les témoignages à la barre de policiers chevronnés qui ont admis ne pas savoir comment ils auraient réagi en état de stress intense. «Il ne pouvait pas ne rien faire. Il a réagi. Il n’y avait pas d’intention de tuer», avance l’avocat. «Combien de temps lui restait-il pour réfléchir? Rien! Rien! Absolument rien!»

Le prévenu avait, selon lui, trois possibilités induites : prendre la fuite, tirer ou se figer. Il aurait choisi de prendre un risque pour «sauver sa vie» face à un automobiliste qui aurait montré des signes d’intimidation alors qu’à deux reprises des policiers lui avaient intimé l’ordre de s’arrêter. La Mercedes a pilé une première fois à 1,80 mètre du prévenu avant de repartir en arrière et de revenir dans sa direction pour finalement l’éviter.

Au prévenu le dernier mot

L’ancien policier n’aurait fait que réagir à une situation provoquée par ses collègues qui se sont lancés à pied à la poursuite de la Mercedes, le laissant livré à lui-même, et par l’attitude imprévisible de la victime. L’avocat a plaidé l’acquittement en faveur de son client. «Le parquet n’a pas prouvé que le prévenu avait assez de place et de temps pour se mettre à l’abri», lance l’avocat. Me Penning a demandé au tribunal de prendre en considération dans sa délibération qu’«une fraction de seconde a un impact considérable sur la vie du prévenu». Une vie qui risque de s’effondrer s’il devait être condamné à une peine d’emprisonnement.

Le procès se poursuit jeudi après-midi avec les répliques de la représentante du parquet. Enfin, le prévenu aura le dernier mot.