Tilly Metz, eurodéputée déi gréng, effectue une tournée auprès des agriculteurs conventionnels et bios pour se rendre compte des obstacles qui se posent à une conversion dans le bio.
Tilly Metz soutient une agriculture de qualité et la création d’un revenu de base paysan à travers l’Europe. Membre de plusieurs commissions dont celle dédiée à l’agriculture et au développement rural, elle dénonce une réforme de la PAC qui, selon elle, rate le coche.
Vous avez rencontré récemment deux agriculteurs conventionnels et deux autres bios. Quels sont les obstacles qui se posent pour faire de l’agriculture bio ?
Tilly Metz : Si on parle des céréaliers, il est beaucoup question de rendement. Il faut des pesticides pour faire du rendement et pour les vaches laitières, il faut faire très attention à leur alimentation. Ceux qui ont investi beaucoup d’argent dans l’agriculture intensive ont peur de subir de trop lourdes pertes alors qu’ils ont des prêts à rembourser. Il faut être créatif pour aider les paysans à se convertir dans le bio.
Pour les éleveurs, c’est moins compliqué il me semble. Ce qui me frustre aussi, c’est la maigre production de fruits et légumes au Grand-Duché, de l’ordre de 1 à 2 %. Au Luxembourg, on est des producteurs de lait et de viande et nous n’avons pas beaucoup de maraîchers. Un des agriculteurs que j’ai vus me disait que les paysans participaient à la déforestation pour produire du soja génétiquement modifié qui sert à nourrir les bêtes. Des bêtes qu’ils exportent ensuite en Afrique ou en Asie où ils détruisent les marchés. Il faut arriver à un changement de paradigme, me disait-il et c’est exactement ce que j’essaie de faire au Parlement européen.
Pensez-vous pouvoir obtenir un changement de paradigme de la PAC en valorisant davantage la qualité que la quantité ?
Cela fait deux ans qu’on travaille sur la réforme et pas de changement de paradigme en vue malheureusement. Il y a toujours les subventions qui dépendent du nombre d’hectares de l’exploitation et qui constitue le premier pilier de la PAC alors que le second qui subventionnent le développement rural est moindre.
Il y a bien les notions de bien-être animal et de respect de l’environnement qui entrent en ligne de compte, mais cela reste encore très vague dans le texte. La qualité du travail réalisé par les paysans n’est pas assez pris en considération.
La PAC ne se fixe pas d’objectifs communs, comme en témoignent les neuf objectifs qui vont dépendre des politiques nationales. Assurer un revenu équitable aux agriculteurs en fait partie. Ce sont les États membres qui fixent les priorités à atteindre et ce n’est pas une bonne idée.
Cette nouvelle PAC c’est comme l’ancienne avec quelques changements esthétiques
L’Europe s’est dotée de stratégies comme celle « De la ferme à la fourchette » ou encore celle dédiée à la biodiversité…
Oui et il s’agit ici d’ambitions très claires. Il nous faut être cohérents et rendre la PAC compatible avec ces objectifs énoncés dans ces deux stratégies. Pour cela, il faut se libérer de la pression des grands lobbys et des esprits plus conservateurs. Sur le papier, les deux initiatives sont bonnes.
Le commissaire à l’Agriculture me semblait très concerné par la survie des petits paysans et les possibilités de leur offrir des chemins plus courts en réduisant le nombre d’intermédiaires, mais les multinationales ne veulent pas en entendre parler. Si on veut soutenir les petits paysans il faut leur autoriser la vente directe, réduire la chaîne alimentaire et avoir des abattoirs plus proches. Réduire la chaîne alimentaire, c’est rapprocher le consommateur du contenu de son assiette. Il peut contrôler ce qu’il mange.
Pour manger mieux, le consommateur devra aussi payer plus…
Au niveau européen, on soutient la quantité et la mauvaise qualité, or cela devrait être l’inverse. La PAC pourrait être un instrument d’orientation pour avoir des aliments de bonne qualité à des prix honnêtes. La laitue conventionnelle n’est pas vendue au prix qu’elle coûte en réalité. Si on applique le bon prix, il faut compter avec le coût de la réhabilitation de la nature qui ne se répercute pas sur le prix de ma laitue. Que l’on reconnaisse le travail réalisé par les paysans car c’est humiliant de travailler 10 à 12 heures et de vivre des primes, ce n’est pas très valorisant. J’ai envie que l’on rende leur dignité aux paysans. Je répète qu’ils sont tous ouverts à des changements.
Nous, les verts, nous disons que cette nouvelle PAC c’est comme l’ancienne avec quelques changements esthétiques. Il faut donner beaucoup plus d’importance au 2e pilier qui est le respect de l’environnement. Il faut un changement de culture dans l’agriculture. Dans toute réforme il faut impliquer les producteurs, les consommateurs, les ONG, etc. Il ne faut pas forcer les agriculteurs à faire du bio, on le fait par conviction, mais nous sommes encore dans une période où on a une chance unique de restaurer la biodiversité et d’atteindre nos objectifs climatiques et d’offrir en même temps une meilleure qualité de vie à nos paysans qui méritent de vivre mieux de leur travail. Avec la PAC, on est reparti pour 7 ans alors on ne doit pas rater cette réforme.
Entretien avec Geneviève Montaigu
Les négociations européennes sur la prochaine programmation de la politique agricole commune (PAC) post 2020 se poursuivent sur la base des propositions de la Commission européenne. Les projets de règlements européens introduisent une innovation essentielle : l’élaboration par chaque État membre d’un plan stratégique national (PSN PAC) unique définissant les interventions et les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle nationale.
Neuf objectifs ont été retenus qui serviront à élaborer les futurs plans stratégiques relevant de la politique agricole commune (PAC) et constitueront la pierre angulaire d’une politique davantage axée sur les résultats, dixit la Commission.
Ces objectifs sont les suivants : assurer un revenu équitable aux agriculteurs; renforcer la compétitivité; rééquilibrer les pouvoirs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire; agir contre le changement climatique; protéger l’environnement; préserver les paysages et la biodiversité; soutenir le renouvellement des générations; dynamiser les zones rurales; garantir la qualité des denrées alimentaires et la santé.
G. M.