Le TOL renoue avec ce genre, propre à son passé et inscrit dans son ADN. Après la nourriture en 2023, c’est au thème de la mort que s’attaque tout un collectif qui compte célébrer l’inévitable avec panache.
Depuis 2023 et les célébrations de son demi-siècle, le TOL a repris goût au cabaret, genre autrefois popularisé par son fondateur, Marc Olinger, mais désormais passé de mode, surtout en français. Si à l’époque, les chansons et textes de Boris Vian ou de Jacques Prévert s’harmonisaient sur scène, la spécialité allait en effet perdre de sa superbe pour lentement disparaître de l’affiche.
Certes, il y a eu des soubresauts, comme en 2007 avec Charleston. Mais la pratique dépérissait sûrement, jusqu’à ce qu’on lui trouve un nom de substitution : le théâtre musical. Alors, has been, le cabaret? «Non, s’insurge Véronique Fauconnet, la directrice du TOL. C’est un art virevoltant, vif, coloré… Un peu à l’image de notre manière de communiquer aujourd’hui.» Le comédien Steeve Brudey Nelson appuie l’idée et prend l’exemple de Madame Arthur, établissement parisien dont les spectacles tout en travestissements cartonnent ces dernières années.
Tous deux étaient aux premières loges lors de la renaissance de l’exercice au Luxembourg, il y a deux ans, avec Mangez-moi!, clin d’œil appuyé à l’ancien mentor pantagruélique du lieu. Autour du bar, à l’étage, la troupe allait trouver son public, mobilisé par des «minipièces» qui s’enchaînent à un rythme effréné façon music-hall. Un genre qui «se construit avec le regard du spectateur. On s’adresse directement à lui», précise le comédien, conscient que la petitesse du TOL joue beaucoup dans sa «convivialité». Raison de plus pour remettre le couvert avec Toute dernière fois!, qui lance sa saison et fête, sans le vouloir, un nouvel anniversaire : celui de son installation à Bonnevoie en 1985. Quarante ans plus tard, sa vitalité reste intacte, honorée paradoxalement par un thème d’aspect plombant : la mort.
D’Edmond Rostand aux Rita Mitsouko
Un sujet qui, «quand on l’annonçait, était accueilli d’un grand silence suivi d’un sourire», se souvient Colette Kieffer, résumant l’esprit derrière l’intention : célébrer l’inévitable avec panache en lui donnant des accents sensuels, grotesques, poétiques et drôles. «Je n’aime pas la manière dont la morale judéo-chrétienne aborde la mort, avec ces enterrements, toute cette tristesse, ces pleurs…, dit Véronique Fauconnet. Oui, c’est malheureux de perdre une personne, mais c’est tellement merveilleux qu’elle ait traversé notre vie», poursuit-elle, balayant de la main le vide pour évoquer «les fantômes bienveillants» qui hantent encore le TOL. «Moi, si je meurs, amusez-vous!», lâche la directrice dans une réaction précipitée. Car le cabaret réclame, par essence, un sacré travail, dans l’approche tant du jeu que du chant. Pas question alors que quelqu’un manque à l’appel.
Avec cette discipline codifiée, il faut procéder par étapes. D’abord trouver des textes, qui s’articulent ici en 32 tableaux. «On traverse presque deux siècles!», indique fièrement la directrice. Dans le détail, il y a du Devos, du Desproges, du Verlaine, du Baudelaire… jusqu’à Florence Foresti, en passant par Hanoch Levin, Edmond Rostand et Les Rita Mitsouko. En somme, de la chanson, de la littérature, du théâtre, de la poésie et de la fable. «C’est intéressant d’aller dans toutes les formes d’écriture, dans différentes époques et de trouver comment lier tout cela», s’enthousiasme Véronique Fauconnet. Concrètement, ces textes tournent autour de «sous-thèmes» franchement dans le ton : l’enterrement, le suicide, le meurtre, Dieu… «L’important est de ne pas partir dans toutes les directions, car l’édifice est fragile, casse-gueule», enchaîne-t-elle.
Moi, si je meurs, amusez-vous!
Un engagement physique «éprouvant»
Ensuite, mettre en place une équipe capable de relever le défi. À juste titre, celle-ci est quasiment la même que pour Mangez-moi!, en dehors de la défection de Jérôme Varanfrain, remplacé par Felix Adams, transfuge du collectif «poil à gratter» Richtung22, heureux de troquer l’allemand pour sa «langue maternelle». Instrumentiste à ses heures, le garçon a même le droit, pour sa première au TOL, à une place de choix, derrière une minuscule batterie et à côté du musicien «maison», le pianiste Jean Hilger. Ce dernier, plutôt branché Rachmaninov, Liszt ou Bach, apprécie ce mélange très «hétéroclite», ce «rapprochement des styles» qui, parfois, mène à d’étonnantes surprises, comme lorsque la chanson Veuve noire de Juliette rappelle un «bout de requiem» de Mozart. Avec son clavier «boîte à sons», il avoue multiplier les grands thèmes que «tout le monde connaît», comme les jingles et autres fantaisies.
De quoi mettre l’ambiance et donner du fil à retordre aux comédiens, notamment Véronique Fauconnet, pas vraiment à l’aise avec le rythme. Steeve Brudey Nelson tempère : «Je ne sais pas si les gens mesurent ce que ça représente : on enchaîne les scènes, les numéros, tout en devant chanter juste, porter la voix… Ça nécessite un gros travail technique. On a même des échauffements vocaux!» (Il rit) Un engagement physique «éprouvant» qui ne néglige pas l’essentiel : lâcher prise et, surtout, «garder le rythme, sans que jamais le soufflé ne retombe». Dans leurs costumes orange à la Guantánamo ou dans d’autres rappelant les traditions mexicaines «de los muertos», ils promettent deux choses : «célébrer la vie» et revenir d’ici «deux ou trois ans» avec un nouveau cabaret. «Ça coûte cher, c’est compliqué à mettre en place, mais ça vaut le coup!», conclut Véronique Fauconnet. Et ça, ce ne sont pas des paroles d’outre-tombe.
Toute dernière fois ! Première ce soir à 20 h. Jusqu’au 29 novembre. TOL – Luxembourg.