Le Théâtre du Centaure, situé Grand-Rue à Luxembourg, dévoile sa nouvelle saison culturelle. Cinq créations, des mises en voix et même un opéra : Le Centaure voit grand malgré des moyens limités.
Pour démarrer toute bonne saison théâtrale, il y a deux sujets qu’il convient d’aborder : l’art révolté et le maigre budget des petites institutions – ce que le Centaure, dans une tradition récurrente, n’a pas oublié de souligner. Oui, la scène se «doit d’ouvrir les yeux sur un monde amnésique», dit, dans une logorrhée militante, le président des lieux, Pierre Rauchs, précisant au passage ses bienfaits : «Il lutte contre le populisme ambiant, la peste brune, le repli sur soi…»
Amateurisme : « il faut que ça évolue ! »
De son côté, dans son rôle de directeur administratif «bénévole», Jules Werner, lui, tranche dans le vif, pointant du doigt «la notion romantique de l’amateurisme» théâtral, toujours entretenue, selon lui, au pays. «Il faut que ça évolue!», clame-t-il en direction des politiques, apparemment totalement paralysés quand il s’agit de mettre la main à la poche.
Et alors que les subventions restent au point mort depuis des années, le Centaure, lui, «rayonne à l’international» – notamment à Avignon qui lui a valu cette année, avec Love & Money, une tribune sur lemonde.fr – et contribue à «faire vivre» de nombreux comédiens du cru. Allez, un petit chiffre qui calme. Sortez vos calculettes… «Sur un budget de 307 000 euros, on en a redonné 219 000 aux artistes et intermittents, ce qui correspond à 219 % du cachet étatique», note le comédien, qui, rappelons-le, ne se sert toujours pas au passage. Ce qui est «usant».
«Il y a 1 000 façons de raconter des histoires»
Si rien ne bouge dans les caisses, la scène reste active, avec pour cette 45e saison, un focus mis sur l’éducation – et les coproductions. Sales Gosses, solo d’Eugénie Anselin dirigé par Fabio Godinho – sa première mise en scène au Centaure – rappellera combien les enfants sont cruels, alors que Pièce en plastique, elle, ne ménagera pas les adultes, surtout ceux gâtés par le billet vert.
George Dandin, de Molière – «plus grosse production de l’année», dixit la directrice artistique, Myriam Muller – abordera aussi les chocs de classes et cette manie «très luxembourgeoise» de se faire plus important que ce que l’on est réellement. Interactivité, enfin, avec Terreur, pour laquelle le public pourra juger (pour de vrai!) s’il est bon ou non, de tuer sciemment 164 passagers à bord d’un avion plutôt que 70 000 spectateurs d’un stade de foot; et créativité, avec une nouvelle édition du très singulier concept «Un soir / Deux pièces».
Du monologue à la comédie, de la mise en bouche à la mise en espace, du drame à la pièce historique, en passant même par l’opéra (A Certain Sense of Order), le Centaure vise large malgré ses 20 m2 d’amplitude. «Il y a 1 000 façons de raconter des histoires», prêche Myriam Muller, ordonnant, abrupte, de «casser les murs!». Ceux réels, et ceux dans les têtes.
Grégory Cimatti
Deux pièces à ne pas manquer
Pièce en plastique
Michael et Ulrike ne savent plus où donner de la tête : accaparés par leur travail et déroutés par la puberté précoce de leur fils, ils engagent Jessica comme femme de ménage. Ils croient sauver leur vie de famille en apparence idyllique. Jessica devient vite essentielle à tous. Mais qui est, au juste, cette femme dont la présence physique s’affirme de jour en jour? Comment se comporter «comme il faut» avec elle? Est-il socialement envisageable de nouer des liens amicaux avec elle? Un jour, le chef d’Ulrike, Haulupa, artiste plasticien, remarque la séduisante Jessica et décide de l’engager comme performeuse. Comme souvent, les frontières entre admiration et humiliation sont poreuses… Comédie acide et cinglante sur les rapports sociaux, le pouvoir de l’art et celui de l’argent, de Marius von Mayenburg, mise en scène par Marion Poppenborg.
Du 16 janvier au 2 février 2019.
Terreur
L’audience à laquelle vous allez assister est un peu particulière. En effet, le public est «juré» dans ce procès, et ainsi appelé à juger l’accusé. Lars Koch, major de l’armée de l’air, est en effet accusé d’avoir contrevenu aux ordres en abattant un avion de ligne avec 164 passagers à bord, tous morts sur le coup. Un terroriste entré dans le cockpit menaçait en effet de faire écraser l’appareil sur un stade de football bondé. Quelque 70 000 spectateurs, un soir de match. Il a bien fallu choisir. Un cas de justice – et de conscience. Le tribunal se fait ainsi scène de théâtre et reconstitue les faits à travers un interrogatoire mené sans relâche, avant les plaidoiries des différentes parties. L’accusé sera-t-il déclaré non coupable ou inculpé pour meurtre(s)? Les deux issues sont possibles. Aux jurés d’en décider… Voici la première création en langue française de cette pièce «interactive», signée Ferdinand von Schirach, mise en scène par Myriam Muller sous le regard de ses comédiens (Joël Delsaut, Fabienne Elaine Hollwege, Jules Werner…).
Du 4 au 20 juin 2019.