Le Quotidien Indépendant Luxembourgeois
Anne Simon met en scène, à partir de ce vendredi soir, Stupid Fucking Bird, une réinterprétation contemporaine de La Mouette de Tchekhov signée Aaron Posner. Rendez-vous au Théâtre des Capucins de Luxembourg avec cinq dates en janvier.
Stupid Fucking Bird… Voilà un titre qui claque ! Anne Simon tombe dessus par hasard, à New York, où elle est artiste associée de la troupe The Circle Theater. Au Theater Bookstore – «une librairie absolument formidable», dit-elle – elle tombe, dans le rayon des conseils des vendeurs, sur cette pièce d’Aaron Posner. Elle est immédiatement intriguée par le titre. «Je me suis tout de suite dit que ça devait être une adaptation de La Mouette de Tchekhov.»
En y regardant de plus près, la Luxembourgeoise comprend qu’elle a vu juste. «J’ai toujours personnellement trouvé Tchekhov très drôle», lance celle qui a pourtant travaillé presque exclusivement sur des auteurs contemporains. «Très noir, mais hyper-drôle !» Alors, entre Tchekhov et le titre, «je me suis dit qu’avec Aaron Posner, on avait le même sens de l’humour». Elle repart donc avec la pièce sous le bras.
« Trop souvent mis en scène avec trop de sérieux »
Rapidement, elle se dit qu’elle veut monter ce Stupid Fucking Bird. Elle reprend : «J’aime beaucoup Tchekhov, vraiment, mais j’ai l’impression qu’il est trop souvent mis en scène avec trop de sérieux, alors que c’est de la tragicomédie pure et dure!» Et de poursuivre : «Myriam Muller a mis en scène un Tchekhov il y a quelques années et c’est la première fois où j’ai vraiment ri.» C’était en décembre 2015 au Centaure, à l’endroit même où Anne Simon mettra en scène George Dandin de Molière en mars.
En attendant, c’est aux Capucins que cette habituée du TNL a installé son équipe. Mais contrairement à ce qu’elle fera dans deux mois, là, elle n’a pas osé s’attaquer directement au classique, à Tchekhov. «Avec Tom Leick (NDLR : directeur des Théâtres de la Ville), on s’est dit que monter Posner était une manière intéressante de toucher un public, et surtout un public jeune, qui ne se déplacerait peut-être pas pour un classique. L’occasion de lui faire comprendre que Tchekhov n’est pas nécessairement un auteur gris et chiant.» Après, et la metteuse en scène ne s’en cache pas, l’adaptation étant déjà faite, et bien faite, mettre en scène Posner était aussi une facilité.
C’est donc Stupid Fucking Bird qui est annoncé et mis en scène – même si Anne Simon est allée rechercher à plusieurs reprises dans sa création de petits bouts du texte original de La Mouette. Ici, Konstantin est devenu Conrad – «Con» pour les intimes –, Irina s’appelle Emma, Sémion se fait appeler Dev, Masha et Sorin deviennent Mash et Sorn, tandis que Nina et Trigorin gardent leur patronyme. De douze personnages chez Tchekhov, Posner n’en a gardé que sept, interprétés ici par Matthew Brown, Isaac Bush, Catherine Elsen, Elisabet Johannesdottir, Rita Reis, Raoul Schlechter et Owen Sharpe – «un ensemble divers, des acteurs avec des backgrounds très différents, représentant des écoles très différentes», précise Anne Simon.
« On a envie de leur crier : ‘Mais putain, bougez-vous!’ «
Pour le reste, l’argument de La Mouette demeure. Avec ce récit dans le milieu artistique fait de dramaturges, comédiennes, écrivains, musiciens… leurs questionnements, leurs doutes, leurs envies de faire et leur immobilisme. «Conrad parle, mais il n’ose pas avancer, il n’ose pas faire. Il stagne. Ils stagnent tous. Parfois on a envie de leur crier : « Mais putain, bougez-vous, merde! »», lance la metteuse en scène, réputée, justement, pour ses pièces nerveuses, «in-your-face» !
«Il n’y a que Nina qui finit par prendre une décision et prendre un risque. Ça se finit mal, mais au moins, elle, elle a agi! D’ailleurs, pour elle, la question n’est pas « To be or not to be », mais « To do or not to do ».» Des personnages simplement humains, très proches de tout un chacun. «Les gens se font chier, deviennent frustrés, mais personne n’a les couilles de se bouger pour faire changer les choses», s’énerve Anne Simon. Du coup, on ne sait plus si elle parle de la pièce ou de la société luxembourgeoise. On lui demande. Elle répond simplement : «Plus la société dans laquelle on se trouve est petite, plus ça devient tragicomique !»
On l’aura compris, il y a ici du théâtre dans le théâtre. Et ça, Anne Simon adore : «Le métathéâtre est super présent, beaucoup plus que dans l’original. Ici ça devient presque le sujet principal, note-t-elle. C’est quelque chose qui m’a toujours intéressée.» Toujours intéressant aussi, la manière dont Posner fait tomber le quatrième mur de la scène et fait que les comédiens s’adressent directement aux spectateurs. Du coup, l’effet miroir fonctionne au maximum. D’autant plus que la metteuse en scène a également choisi de délaisser le lac proposé par Tchekhov pour placer le récit dans une piscine, un décor plus proche des gens, avec un fond naturaliste, mais sans pour autant coller nécessairement au texte.
Pablo Chimenti
Théâtre des Capucins – Luxembourg
Première ce vendredi à 20 h
Puis les 12, 17, 22 et 23 janvier
