Avec son nouveau film, intimiste, le réalisateur américain raconte sa propre histoire, des fractures familiales à son amour inconditionnel pour le cinéma.
Hollywood aime filmer les grands destins, forgés à partir de rien, qui redorent régulièrement le mythe fané du rêve américain. L’un de ses plus importants représentants, Steven Spielberg, 76 ans, plutôt qu’attendre qu’un autre le fasse, s’est alors chargé, avec The Fabelmans, de rejouer sa propre légende. Peu porté sur les questions d’ego, le réalisateur et producteur multiprimé, aux œuvres entrées dans le panthéon (Les Dents de la mer, La Liste de Schindler, la série des Jurassic Park et des Indiana Jones…), a justifié ce choix du film intimiste, semi-biographique, par la «peur» de la pandémie.
«Je ne crois pas que quiconque ait su, en mars 2020, où en seraient l’art ou la vie, ne serait-ce que l’année d’après», a-t-il dit à Toronto, lors de la première du film mi-décembre. «J’ai juste ressenti que si je devais laisser quelque chose derrière moi, qu’avais-je vraiment besoin d’éclaircir et de déballer à propos de ma famille?», a-t-il poursuivi. «Ce n’était pas maintenant ou jamais, mais presque!» Et ce qu’il a décrit, dans un rire, comme «une thérapie à 40 millions de dollars», remonte à son enfance, âge de toutes les blessures (et des futures névroses).
«Je n’ai jamais eu le courage d’affronter cette histoire de front»
Si, de son propre aveu, son histoire personnelle transparaît déjà par fragments dans quelques-unes de ses œuvres, à l’instar d’E.T. ou de Rencontre du troisième type, The Fabelmans reste son film le plus personnel à ce jour, et l’un des plus compliqués à aborder. «Je n’ai jamais eu le courage d’affronter cette histoire de front», a-t-il expliqué. Ce qu’il fait en braquant (sans trembler) sa caméra sur ses coups durs de jeunesse, dans une famille qui se délite progressivement et avec le cinéma en guise d’échappatoire. Ce sont même là les deux piliers sur lesquels repose toute son existence.
Côté tribu, il y a les trois sœurs, le père Burt (joué par Paul Dano), ingénieur informatique de génie, ainsi que la mère Mitzi (Michelle Williams), pianiste-artiste un brin borderline. Sans oublier un ami, Bennie, qui ne quitte jamais les deux parents, qu’ils déménagent ou partent en vacances. Il y a enfin «Sammy» (Gabriel LaBelle), tombé amoureux du grand écran depuis une projection de Sous le plus grand chapiteau du monde (Cecil B. DeMille,1952). «Les films sont des rêves que l’on n’oublie jamais», lui souffle sa mère, même si son père lui rappelle souvent que le cinéma est d’abord «un passe-temps».
Ce film, c’est une thérapie à 40 millions de dollars !
Il va finalement hériter des deux : la passion (et la rigueur) pour la technique de l’un, et celle pour l’art de l’autre. The Fabelmans suit alors son émancipation, du montage des films familiaux jusqu’aux westerns réalisés adolescents, amateurs et malins, avec ses copains scouts. Steven Spielberg s’en souvient toujours : «J’utilisais vraiment de la colle et de la salive, en essayant de trouver comment faire tenir les choses ensemble!» «Dans ce film, j’ai fait tous les trucs qui se passent en coulisse bien mieux que les films en 8 mm que j’ai tournés», a-t-il lancé. «C’était une belle reprise!»
Histoire de coller au plus près de la réalité qu’il a connue, le cinéaste montre également les brimades antisémites infligées par deux harceleurs dans son lycée californien. «Cela m’a rendu très, très conscient d’être un outsider en grandissant», a-t-il avoué. Son film, qui aborde au passage quelques questions existentielles (l’amour, l’ambition, le sacrifice…), a en tout cas reçu le même accueil que certains autres : il a déjà été couronné aux Golden Globes, remportant les prix du meilleur réalisateur et meilleur film dramatique, et est multinominé aux prochains Oscars.
Non, Steven Spielberg n’a pas fini d’écrire son histoire, lui qui était encore hier à Berlin, où le festival du Film lui a remis un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. À tout hasard, il l’a précisé quand même : «Ce n’est pas parce que j’ai décidé de prendre ma retraite que ceci serait mon chant du cygne, a-t-il assuré. Ne croyez rien de tout cela !»
The Fabelmans, de Steven Spielberg.