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Tali se confie : «Je ne veux pas seulement être la fille de l’Eurovision»


Voilà déjà plus d’une semaine qu’elle a pris ses quartiers en Suède, consentant aux rituels de la presse, des essais pour les tenues, pour le maquillage, pour la scène… (Photo : AFP)

Mardi à Malmö, en Suède, Tali replacera le Luxembourg sur la carte de l’Eurovision après 31 ans d’absence. Si la chanteuse espère atteindre la finale de samedi, elle vise déjà bien plus loin. Rencontre.

Repères

État civil. Tali Golergant est née en Israël le 26 novembre 2000 de parents péruvien et israélien. Elle arrive au Luxembourg à l’âge de dix ans après être passée par différents pays (Chili, Argentine…).

Formation. Elle fréquente l’École internationale de Luxembourg (ISL) où elle passe son bac à 19 ans. Artistiquement, depuis ses sept ans, elle suit des cours de piano et de danse, puis de théâtre et de chant.

Carrière. En 2021, on lui doit un EP, Lose You, coécrit avec Jana Bahrich (Francis of Delirium), qu’elle a connue à l’ISL. Après la crise sanitaire, elle part pour New York où elle donne des concerts et participent à des comédies musicales.

Eurovision. Vainqueure au Luxembourg Song Contest face à sept autres candidats fin janvier à la Rockhal, elle représentera le Luxembourg à l’Eurovision dès demain en demi-finale, où elle devra figurer dans les dix premiers parmi quinze pays concurrents. Au bout, une finale samedi.

Voilà déjà plus d’une semaine qu’elle a pris ses quartiers en Suède, consentant aux rituels de la presse, des essais pour les tenues, pour le maquillage, pour la scène… C’est que Tali a rendez-vous avec son histoire, tandis que le Luxembourg renoue avec la sienne.

Après cinq succès à l’Eurovision, le pays revient en effet dans la compétition comme un fringant jeune premier, disparu des radars qu’il était depuis plus de trente ans.

Pour son come-back dans la grand-messe musicale européenne, tout en paillettes et en strass, il s’appuie sur une jeune chanteuse de 23 ans qui a fait ses armes à New York et qui porte son courage en bandoulière comme le clame la chanson Fighter qu’elle a présentée ces derniers jours à Amsterdam, à Londres et à différents endroits du Luxembourg.

Pour que l’on se souvienne d’elle, il faudra toutefois qu’elle passe demain par les demi-finales, où elle sera opposée à quatorze autres candidats, animés par les mêmes rêves et espoirs qu’elle.

Au bout, une place parmi vingt-six finalistes qui joueront samedi le titre sous la lumière des projecteurs et devant près de 200 millions de téléspectateurs. Rencontrée dans les locaux de RTL quelques jours avant son départ, Tali enchaîne les sollicitations, avec en guise de maigre repas des gaufrettes au chocolat avalées sur le pouce.

Elle a quand même pris le temps de parler de sujets de circonstance : la pop, la notoriété, les haters, les bookmakers et l’industrie du spectacle dans toute sa splendeur.

Le concours de l’Eurovision arrive. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

Tali Golergant : J’essaye de garder les pieds sur terre, mais oui, je suis nerveuse et un brin effrayée. Disons que ces derniers jours, je cherche à relativiser : je me dis que jusqu’ici, j’ai fait de mon mieux. Autant continuer dans cette voie.

Vous y représentez le Luxembourg après 31 ans d’absence. Est-ce un poids supplémentaire?

Ce serait un mensonge que d’affirmer le contraire. Mais, parallèlement, il y a également beaucoup d’honneur et de fierté dans le fait de représenter le Luxembourg. C’est à la fois un mélange de pression et d’excitation. Ça équilibre…

Est-ce qu’encore aujourd’hui, vous vous dites parfois « mais qu’est-ce que je fais là? »?

(Elle rit) Oui, ça m’arrive de m’en étonner. Mais je suis comme n’importe qui : il y a des jours où je me sens invincible, au sommet, et d’autres où je me sens moche, fragile, terrifiée… Mais cette sensation d’avancer comme sur des montagnes russes est normale. C’est la vie, et ma chanson parle justement de ça. Elle est authentique!

Depuis la finale du Luxembourg Song Contest fin janvier à la Rockhal, votre vie s’est sérieusement accélérée. Comment le vivez-vous?

Tout est différent. Avant, à New York, ma vie était rythmée de la sorte : trois boulots la journée (coach, nounou et professeure de musique) et des concerts le soir. Aujourd’hui, je suis devenue artiste à plein temps et, financièrement, c’est compliqué…

Mais être ici, c’est mon rêve, tout ce que j’ai toujours voulu faire, aussi difficile soit-il. Car les sacrifices sont nombreux : familiaux, amicaux, amoureux. On est tout le temps dans notre bulle, loin des réalités de la vie d’avant.

L’Eurovision est une machine à divertissement, avec ses codes, son rythme, ses fans… Vous vous y attendiez?

Pas du tout. Prenons l’exemple des fans : eux aussi sont dans une sorte de bulle. C’est une communauté passionnée, avec les conséquences qui vont avec : l’amour que l’on vous porte est énorme, tout comme la haine de ceux qui ne vous supportent pas.

Le tout dans une tout autre proportion : avant, je devais avoir cinq fans inconditionnels! Maintenant, ils sont tellement nombreux. Oui, tout ça est très nouveau… (elle montre alors un bracelet avec son nom qu’elle porte) Ça, c’est un fan qui me l’a offert la semaine dernière.

Est-ce bizarre à vivre?

Oui. Sur scène, les gens vous font penser que vous êtes à part, comme une star, une idole. Moi aussi, j’ai pu le faire avec Lady Gaga ou Bon Jovi, mais vivre personnellement cette intensité d’émotion, c’est autre chose.

Du coup, retrouver sa chambre, prendre une douche ou aller dans un parc, ça permet de revenir à quelque chose de normal… Franchement, il y a de quoi perdre la tête et je comprends que certains artistes qui vivent cette extase peuvent devenir dingues, tomber dans la drogue. Bon moi, je n’ai pas fumé une seule cigarette de toute ma vie. J’ai de la marge!

Musicalement, appréciez-vous ce formatage « pop » imposé par un tel évènement?

Franchement, j’adore la chanson Fighter, et je suis fière de ce que je fais actuellement, d’être à l’Eurovision. Mais j’aimerais ne pas être réduite à cela.

J’ai toujours mon groupe aux États-Unis, mes projets en solo qui arrivent… Beaucoup d’artistes sont vite mis en boîte, du genre : « Cette fille aux cheveux rouges, elle a fait cette chanson-là »… Je ne voudrais pas que ça m’arrive.

Et au niveau de l’image?

J’ai l’espoir d’être une personne authentique. C’est ma vie, mon image, j’en fais ce que je veux! Alors oui, l’Eurovision est un show familial, je ne vais pas faire et dire n’importe quoi (elle rit).

Mais je ne vais pas changer ma façon de parler parce que certaines personnes le pensent ou me le conseillent. C’est d’ailleurs le compliment qui revient le plus chez les fans : celui d’être restée naturelle. J’espère ne jamais perdre ça.

C’est ce que vous entendez aussi au Luxembourg?

C’est un pays où le Grand-Duc et le Premier ministre peuvent se balader où ils veulent sans que personne ne vienne les ennuyer. Moi, quand on me reconnaît dans la rue, ça n’est jamais agressif, juste bienveillant.

On me dit : « Bonne chance pour Malmö! ». C’est toujours attentionné. Surtout que la célébrité, c’est effrayant, notamment quand tout se passe trop vite. Mais moi, je suis bien entourée.

Mes parents me répètent qu’au moment de ma naissance, ils se sont penchés sur mon berceau et ont dit : « Qui sait, peut-être qu’elle sera une star ». C’est en effet ce que je souhaite, mais pas à n’importe quel prix.

Voilà plusieurs mois que vous retravaillez et chantez Fighter en boucle. Avez-vous toujours plaisir à l’interpréter?

Je n’en suis pas encore malade. Peut-être dans un an! Aujourd’hui, je le vis bien, car je trouve le moyen de l’interpréter avec plus ou moins de force ou de sensibilité, en fonction de mon état d’esprit. Elle offre cette variété-là.

Et comme je me sens proche des paroles qu’elle défend, ça ne m’ennuie pas. La répétition, c’est aussi une habitude que j’ai prise avec la comédie musicale où, tous les soirs, il fallait chanter les mêmes choses, faire les mêmes gestes…

Quelle est la force, la singularité de cette chanson?

Je vais dire qu’elle correspond à mon identité, nourrie de mes voyages à travers le monde : musicalement, elle a des sonorités latines, un côté « east side » aussi.

Les paroles sont en français et en anglais, deux langues que je parle depuis petite. Et le producteur est italien! Fighter mélange toutes ces cultures. À mes yeux, ce n’est pas une simple chanson pop.

Demain, elle sera opposée à quatorze autres morceaux. Comment voyez-vous cette demi-finale?

J’ai confiance en cette chanson et en mon interprétation. Si l’on n’était jugés qu’à ça, je serais sûre d’être en finale. Mais avec l’Eurovision et son système de votes, ça ne suffit pas! Ça se remarque : souvent, la Grèce vote pour Chypre qui, en échange, vote pour elle; les pays nordiques se soutiennent entre eux…

Donc, en tant que représentante du Luxembourg, absent depuis plus de trente ans, il est impossible de prédire ce que les gens vont faire. C’est une compétition où le nombre de « followers » fait la différence. À ce jeu-là, je ne suis qu’une petite artiste face à Angelina Mango (la candidate italienne) ou Olly Alexander (celui de la Grande-Bretagne), qui a chanté avec Elton John. Ça n’a rien de comparable.

Vous jouez en dernière position. Est-ce une chance?

C’est même une excellente chose. J’étais déjà dernière au Luxembourg Song Contest (LSC), alors, peut-être que ça va aussi me porter chance! Disons que la dernière chanson, c’est souvent celle qui reste en tête.

Les bookmakers vous classent cinquième pour cette demi-finale. Est-ce une chose à laquelle vous portez attention?

Oui, comme tout le monde, même si je ne devrais pas! Mais comme il arrive que les bookmakers voient juste, le fait qu’ils me mettent en finale, c’est une superbe nouvelle! En même temps, ils m’ont classée à la seconde place au LSC, alors que je suis là…

Disons que je ne vais pas à Malmö avec le seul objectif de gagner, mais plutôt celui d’être fière de moi, et rendre fier le Luxembourg. S’amuser et en profiter un maximum, voilà tout.

«J’ai confiance en cette chanson et en mon interprétation». (Photo : Hervé Montaigu)

Avez-vous écouté les chansons des autres? Des préférences?

Clairement, je suis à fond dedans ! Je n’ai pas un seul favori, mais plutôt quatre-cinq : j’adore Nemo (The Code, Suisse), un truc à la Freddie Mercury un peu dingue, mais aussi l’Italie, la France pour Slimane, la Belgique, Israël et la Grèce, dont le morceau Zari me donne envie de danser.

Quel serait votre parcours idéal, en dehors d’un succès?

Je serai contente si je vais en finale, et si ma prestation a été à la hauteur.

Remporter un sixième succès pour le Luxembourg, est-ce envisageable?

Pour les bookmakers, apparemment non, mais mon cœur, lui, me dit le contraire!

Au sortir de votre victoire au LSC, on vous a reproché vos origines israéliennes. Comprenez-vous la portée politique de l’Eurovision?

Je ne suis pas une personne branchée par la politique, mais pour le coup, je trouve ça détestable. L’Eurovision est une célébration de la musique et des cultures, et ça ne devrait être que cela. Je rappelle que son slogan est « United by Music », soit un rendez-vous censé unir les gens, pas les diviser.

Oui, je comprends que le monde va mal, qu’il y a de la frustration et de la souffrance, que les gens ont le droit d’exprimer leurs opinions. Mais pourquoi, du fait que je suis née en Israël, les gens se mettent en colère ou répandent de fausses informations sur moi ?

C’est dur et tellement triste. Après, on trouve, partout et toujours, des gens qui critiqueront votre nationalité, mais aussi votre coiffure, votre voix, vos vêtements, votre corps, ce que vous dites… C’est ce qu’implique une vie d’artiste. Malheureusement.

D’autres vous ont reproché de ne pas être luxembourgeoise…

Je refuse que l’on se permette de parler à ma place, d’imaginer ce qui m’a construite. Le Luxembourg, c’est ma maison, mon chez-moi, là où j’ai grandi. De toute façon, les gens peuvent penser ce qu’ils veulent, ça n’enlèvera rien à ce que je ressens.

Suivez-vous la situation à Jérusalem et à Gaza?

Oui, je la suis, parce que j’ai de la famille là-bas : mon frère, mon oncle, des cousins… J’ai aussi une amie, Leïla, dont la famille est à Gaza. C’est horrible ce qui s’y passe, d’un côté comme de l’autre.

Bien sûr, Israël est le pays de mes origines, mais mes pensées vont à tous ceux qui souffrent de cette guerre.

Cela vous perturbe-t-il dans votre préparation?

Parfois, surtout quand j’entends qu’il y a eu des morts dans la ville de ma famille. Après, j’essaye de prendre de la distance, car si je n’avais la tête qu’à cela, je serais incapable de travailler.

«J’ai cette certitude que je vais toujours faire de la musique, quoi qu’il arrive. L’Eurovision, ce n’est qu’un début pour moi.»(Photo : Julien Garroy)

Les réseaux sociaux se sont-ils calmés par rapport à vos origines?

Ça a été difficile les premiers jours, puis ça s’est dissipé. C’est souvent comme ça, les réseaux sociaux : les gens sont d’abord ultraénervés, puis la frustration passe…

Aujourd’hui, quand j’ouvre mon téléphone, notamment Instagram, je ne reçois que des messages d’amour. Des tonnes, et de partout dans le monde!

Vous croisez régulièrement les autres candidats du LSC. Où en sont vos relations aujourd’hui?

C’est comme une famille. Il y a quelques semaines, ils étaient chez moi pour le dîner. J’ai fait des empanadas et d’autres trucs! Pour nous tous, l’Eurovision était quelque chose de nouveau. Personne n’avait de réelle expérience.

Du coup, on s’est rapprochés, on s’est soutenus… Il n’a jamais été question de gagner. Cette compétition reste pour moi un merveilleux moment, justement grâce aux sept autres participants.

Avez-vous fait une croix sur votre vie à New York?

(Elle fait semblant de pleurer) Non, ne dites pas ça. Sérieusement, j’y retournerai sûrement un jour. Je risque de rester au Luxembourg un an, au minimum, mais j’ai aussi d’autres projets en cours aux États-Unis, dont un album et une tournée avec mon groupe. Mes amis et mon compagnon y sont aussi. Bref, c’est délicat…

Les New-Yorkais vont-ils venir à Malmö?

Ça fait deux mois qu’ils ont leurs tickets!

Vous êtes nouvelle sur la scène musicale au Luxembourg. Pensez-vous vous y être fait une place?

Je n’ai pas beaucoup joué au Luxembourg, donc je dois faire mes preuves. J’ai besoin de découvrir le public, m’y connecter. Cet été, d’ailleurs, j’ai huit concerts au programme dans tout le pays avec ma propre musique.

Et mon premier album solo sortira dans les six prochains mois. Je suis excitée par toutes ces perspectives.

Vous êtes au crédit d’une chanson (Lighthouse) du dernier disque de Francis of Delirium, avec laquelle vous avez déjà signé un EP en 2021. Est-ce une manière de rappeler que vous êtes une musicienne complète?

Je ne veux pas seulement être la fille de l’Eurovision. J’ai d’autres projets, d’autres envies… Jana (Bahrich), c’est une amie. On se connaît depuis l’école. On était les deux filles qui voulaient faire de la musique et que personne ne prenait au sérieux (elle rit).

Et pourtant, nous sommes là! Son label de Londres lui a demandé de faire une chanson plus pop, alors elle m’a appelée à l’aide. On sent mon influence sur le refrain. J’adore ce qu’elle fait. J’ai d’ailleurs été la voir jouer à New York avec des amis.

Redoutez-vous l’après-Eurovision?

Pas vraiment, car j’ai cette certitude que je vais toujours faire de la musique, quoi qu’il arrive. L’Eurovision, ce n’est qu’un début pour moi.

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