La cheffe de la fraction du LSAP fustige le fait que la réforme des pensions envisagée par le gouvernement risque de se faire au détriment des seuls jeunes. Le principe d’équité serait jeté par-dessus bord, comme bon nombre d’autres acquis sociaux.
À la sortie d’une semaine politique intense, marquée par la déclaration sur l’état de la Nation, Taina Bofferding revient avec un peu plus de recul sur les annonces faites par le Premier ministre, Luc Frieden. Les premières pistes pour réformer le système des retraites, mais aussi le conflit social entre le gouvernement et les syndicats ainsi que la hausse de l’effort de défense sont commentés, analysés et critiqués par la cheffe du principal parti d’opposition.
Les critiques de l’opposition ont fusé après la déclaration sur l’état de la Nation du Premier ministre. Vous vous êtes montrée très acerbe dans votre réplique. Malgré tout, est-il possible de retirer des éléments positifs du discours ?
Taina Bofferding : On est prêt à cautionner des choses positives lorsqu’elles sont dans l’intérêt de la société. Ce qui est à mettre en avant sont les annonces sur l’énergie. Le LSAP avait émis 10 propositions pour une politique énergétique responsable et sociale. Un des points était que l’État prenne en charge une partie des frais du réseau, ce que le Premier ministre a mis en perspective. Le gouvernement débloque une enveloppe de 150 millions d’euros, ce qui est également positif. Luc Frieden clame toujours que la protection de l’environnement lui importe. Mais, pour le faire, il faut prendre des mesures et, au moins sur ce point, le gouvernement semble avoir compris notre message.
À chaud, vous avez aussi salué le fait que la lutte contre la pauvreté ait trouvé une place dans le discours. Selon le LSAP, les mots ne sont cependant pas suivis d’actes.
En effet. Le Premier ministre s’est contenté de mentionner la lutte contre la pauvreté, sans livrer de plus amples détails sur le plan d’action, déjà annoncé en juin 2024, mais qui n’est toujours pas en vue. À un moment, il faut livrer. Luc Frieden se félicite aussi du fait que son gouvernement ait déjà pris des mesures ciblées. Nous saluons l’augmentation de l’allocation de la vie chère et de la prime énergétique, tout comme le crédit d’impôt pour les monoparentaux. Augmenter les aides sociales n’est cependant pas suffisant. Il faut des réformes structurelles. La lutte contre la pauvreté doit se faire en priorité en s’attaquant de manière plus conséquente au problème du logement abordable.
En tant que ministre de l’Intérieur, vous avez ficelé le projet de loi sur une augmentation et la création de taxes afin de mobiliser davantage de terrains constructibles et de mettre sur le marché des logements vides. Comment interprétez-vous le fait que ces mesures n’aient pas été thématisées par le Premier ministre ?
L’avis du Conseil d’État se trouve depuis plus de deux ans sur la table. Il a bien fallu tenir compte des remarques des Sages, mais plus rien ne bouge. Si l’on clame que le logement est une préoccupation majeure, il faut aussi accorder une priorité à ces textes. Un des objectifs de ces mesures est de lutter contre la spéculation. Ce terme n’est pas du tout employé par le Premier ministre lorsqu’il parle de logement. Nous savons toutefois que la spéculation reste un des problèmes majeurs. Et puis, il faut savoir que ces taxes ne vont pas produire leurs effets du jour au lendemain. Perdre deux ans, notamment en ce qui concerne le Baulandvertrag (NDLR : délai légal maximal pour viabiliser des terrains), ne permet en rien d’avancer.
Les syndicats sont dans leur plein droit de battre le pavé et le LSAP va se joindre à eux le 28 juin
Passons à la réforme des pensions. Vous avez affirmé qu’un « gros chat » a été sorti du sac, en référence surtout à l’annonce d’une prolongation des années cotisables. Qu’est-ce qui provoque plus précisément votre ire ?
Tout d’abord, il faut rappeler que le gouvernement a lancé une large consultation. Lors de ces échanges, une augmentation des années cotisables n’a pratiquement jamais été thématisée. Personne n’est demandeur, y compris le camp patronal. Je ne comprends donc pas pourquoi le Premier ministre se montre étonné qu’une telle annonce explosive provoque une levée de boucliers. Il s’avère que le gouvernement veut bien que les gens doivent travailler plus longtemps avant de pouvoir partir plus tard à la retraite, en renvoyant notamment vers la hausse de l’espérance de vie. Il n’a cependant pas le courage d’augmenter l’âge de départ légal, qui restera fixé à 65 ans. Mais en augmentant progressivement la durée de cotisation, on arrivera à terme au seuil des 65 ans, sans avoir encore de possibilité pour prendre sa retraite plus tôt. Au lieu de le dire ouvertement, le gouvernement tente de cacher un peu sa véritable intention, en espérant que les gens ne réalisent pas encore ce qui les attend.
Selon vous, cette mesure constitue une « claque » pour la jeune génération. Une analyse que le Premier ministre réfute.
Pourtant, le plus grave est que ce sont uniquement les jeunes qui vont pâtir de cette réforme. Il n’est pas juste qu’ils deviennent les seuls à devoir couvrir le déficit, alors qu’ils sont confrontés à d’autres défis de taille comme trouver un logement. Le contrat intergénérationnel est complètement édulcoré. Aucun jeune qui veut apporter sa pierre à l’édifice n’est aujourd’hui prêt à aller travailler plus longtemps. Aujourd’hui, il est possible de prendre sa retraite avant 65 ans, à condition d’avoir cotisé pendant 40 ans. Ce choix sera enlevé aux gens. La raison invoquée est d’assurer le financement du système. Or, il existe bon nombre d’autres mesures pour le faire.
Vous songez à quoi ?
Le LSAP propose notamment un déplafonnement des cotisations (NDLR : le plafond est fixé à 5 fois le salaire minimum), la prise en compte de tous les revenus dans le calcul des cotisations ou encore l’introduction d’une taxe sur les robots et l’intelligence artificielle. En tout cas, aller se servir dans les fonds de la taxe carbone, destinés à des compensations sociales dans le cadre de la transition énergétique, est inacceptable. Et même s’il ne s’agit pas de notre piste privilégiée, on ne se ferme pas à une discussion pour augmenter le taux de cotisation. Elle aurait au moins le mérite d’être plus équitable qu’une hausse unilatérale des années cotisables. Une telle réforme sociétale d’envergure devrait bien être équitable, ce qui n’est pas le cas pour le moment.
Néanmoins, ne voyez-vous pas le besoin de rapprocher l’âge de départ réel, tournant autour des 60 ans, avec l’âge de départ légal, notamment pour réduire la pression financière sur le système de pension ?
On le conçoit, et nous l’avons d’ailleurs clairement souligné lors du débat sur les pensions à la Chambre. Néanmoins, pour y parvenir, il faut plutôt miser sur des incitatifs pour amener les gens à travailler plus longtemps, bien entendu sur une base volontaire. Dans cet ordre d’idées, nous saluons l’introduction d’une retraite progressive. Forcer les gens à aller travailler plus longtemps n’est pas adapté pour se rapprocher des 65 ans. Et puis, nous insistons aussi sur le fait que chaque retraité puisse mener une vie digne avec sa pension. S’il faut octroyer une aide sociale ciblée à ceux qui sont menacés de tomber dans la précarité, comme cela est prévu, le système est défaillant. C’est pourquoi nous plaidons pour une augmentation d’au moins 300 euros de la pension minimale, au lieu de soutenir davantage le régime des pensions privées.
Le projet de réforme final, attendu avant l’été, doit encore être discuté, en automne, avec les partenaires sociaux. Selon vous, est-il possible qu’un consensus plus large soit trouvé ?
Le gouvernement voudrait encore discuter de quoi ? L’objectif est clairement défini, à savoir l’augmentation des années de cotisation. Même si les détails font encore défaut, cela est gravé dans le marbre. Et cela confirme aussi que le processus de consultation était un semblant de débat que l’on aurait pu s’épargner.
La réforme des pensions et la modernisation du droit du travail vont figurer au centre de la grande mobilisation des syndicats. Vous avez estimé à la Chambre que la manifestation nationale du 28 juin n’est ni « nécessaire » ni « bénéfique pour le pays ». Vous visez quel camp ?
Les syndicats sont dans leur plein droit de battre le pavé et le LSAP va se joindre à eux le 28 juin. Le conflit social majeur que nous vivons aurait pu et dû être évité. Le seul fautif est le gouvernement et plus particulièrement un ministre du Travail qui n’a toujours pas compris quels sont ses devoirs en matière de dialogue social. Le Premier ministre clame aussi sans cesse que ce dialogue lui importe, mais en fin de compte, il n’est même pas disposé à se mettre à table. Le camp syndical vient de demander une tripartite. La fin de non-recevoir a suivi sur le pied. La réforme des pensions va mobiliser encore davantage de personnes.
En ce qui concerne le fond, comment votre parti se positionne-t-il par rapport aux projets de modernisation du droit du travail, notamment en ce qui concerne les conventions collectives ?
Je tiens d’abord à rappeler que le Premier ministre avait promis en début de mandat de discuter de tous ces projets avec les syndicats. Ils ont finalement été mis devant le fait accompli. Il est consternant de devoir discuter sur le fait que les syndicats gardent ou non leur prérogative exclusive de négocier des conventions collectives. Luc Frieden reste d’avis que les délégations de personnel doivent pouvoir conclure des accords ponctuels avec leur patron, sans l’appui d’un syndicat. Cela affaiblit le régime des conventions collectives. Soit on est convaincu par ce dispositif et on fait tout pour augmenter le taux de couverture, soit on décide de vider les conventions de leur substance.

Partagez-vous la critique selon laquelle les projets de réforme initiés par le gouvernement constituent une des pires attaques contre les salariés depuis des décennies ?
Par le passé, les syndicats sont régulièrement montés au créneau. Le camp patronal a aussi souvent clamé que certaines mesures ou dispositifs n’allaient pas assez loin. Tout cela est de bonne guerre, mais il a toujours été possible de discuter ensemble et de dégager des compromis. Aujourd’hui, on ne tente même plus de le faire. Tous les acquis de ces dernières années et décennies commencent à être jetés par-dessus bord. Le ministre du Travail a provoqué une perte de confiance mutuelle sans véritable précédent. Il y a déjà eu des conflits sur des dossiers, mais pas sur la forme. Et lorsqu’il n’y a pas d’accord, le gouvernement doit trancher. C’est la démocratie, mais au moins, il a d’abord été possible de discuter, d’échanger des arguments. Ici, les dés étaient jetés dès le départ.
L’autre annonce majeure fut que le Luxembourg compte encore augmenter cette année son effort de défense à 2 % du RNB. Le LSAP supporte-t-il cet investissement massif ?
On est conscient qu’il faut investir davantage dans la défense. Mais il faut faire attention à ce que les 2 % ne se transforment pas en 5 %, comme cela est discuté à l’échelle de l’OTAN. Le Luxembourg ne sera pas en mesure d’atteindre ce cap. Il est important que l’on ne se contente pas d’investir dans des armes, mais aussi que l’on devienne plus résilient. Quels seront les investissements qui seront pris en compte ? Nous sommes tout à fait d’accord de renforcer les infrastructures critiques, de garantir la production d’énergie et la fourniture en eau. Les retombées économiques doivent aussi être considérées. La ligne rouge est toutefois que l’argent supplémentaire ne provienne pas du budget social. Une redéfinition des projets d’infrastructures ne doit pas non plus avoir un impact négatif sur le développement du pays.
État civil. Taina Bofferding est née le 22 novembre 1982 à Esch-sur-Alzette.
Formation. Après des études secondaires au lycée classique Hubert-Clément à Esch-sur-Alzette, Taina Bofferding fréquente l’Institut d’études éducatives et sociales, où elle obtient le diplôme d’éducatrice en 2005. Elle entame ensuite des études en sociologie à l’université de Trèves, qui aboutissent, en 2011, à un diplôme en sciences sociales.
Conseil communal. Membre du LSAP depuis 2004, Taina Bofferding entre en 2011 une première fois au conseil communal de sa ville natale. Réélue en 2017, elle quitte son mandat en 2018 pour entrer au gouvernement.
Ministre. À la suite des législatives de 2018, Taina Bofferding entre au gouvernement comme ministre de l’Intérieur et ministre de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Chambre. Après les législatives d’octobre 2023, le LSAP est renvoyé sur les bancs de l’opposition. Taina Bofferding est nommée cheffe de fraction. Elle retrouve la Chambre après un premier mandat de députée entre 2013 et 2018.