Taina Bofferding, la cheffe de fraction du LSAP, décortique la première déclaration sur l’état de la Nation signée par le Premier ministre, Luc Frieden (CSV). Elle estime notamment que le gouvernement conservateur-libéral risque de trop affaiblir l’État social.
Aux yeux de Taina Bofferding, «il ne suffit pas de déchirer en l’air» tout ce que la majorité CSV-DP entreprend. Mais la leader du premier parti de l’opposition reste très sceptique à l’égard des premières initiatives prises par l’équipe emmenée par Luc Frieden.
Cela n’empêche pas l’ancienne ministre de louer l’une ou l’autre mesure annoncée mardi lors de la déclaration sur l’état de la Nation.
Le Premier ministre a reproché, mercredi, au LSAP d’être opposé à la prochaine adaptation à l’inflation du barème d’imposition. Voulez-vous vraiment priver les citoyens de ce gain de pouvoir d’achat ?
Taina Bofferding : Si le gouvernement continue à ajuster le barème à l’inflation, alors se pose la question de savoir pourquoi il ne revient pas à l’adaptation automatique abolie sur l’impulsion du CSV.
Plus globalement, il me faut souligner que l’adaptation progressive du barème aux tranches indiciaires versées n’est pas une mesure de politique sociale comme le clame la coalition. Il n’est pas question de davantage d’équité, car ceux qui ont déjà beaucoup de moyens financiers touchent une compensation plus importante que ceux qui sont moins bien lotis.
Si l’on veut vraiment éliminer les inégalités qui existent dans notre système fiscal, il faut prendre d’autres mesures.
Ce type de réflexion ne peut-il pas vous valoir le reproche que le système d’indexation n’est en soi pas socialement équitable ?
L’index n’est pas un instrument pour lutter contre les inégalités sociales. L’objectif est de compenser la perte en pouvoir d’achat provoquée par l’inflation. Il s’agit de deux choses différentes. Il est hors de question de le remettre en cause.
Si l’on veut créer plus d’équité sociale, il faut le faire par l’intermédiaire de la fiscalité. C’est pourquoi nous plaidons pour une réforme en profondeur du système d’imposition en vigueur afin de corriger toutes les inégalités existantes, qui concernent les monoparentaux ou veufs, mais aussi l’imposition déséquilibrée du travail et du capital. Une telle réforme sera l’occasion de se montrer plus sélectif en faveur des plus bas revenus.
L’introduction d’une classe d’imposition unique est annoncée pour 2026. Pensez-vous que vos propositions vont faire partie de cette réforme d’envergure ?
Le ministre des Finances a annoncé qu’un concept serait prêt à cette date. À la Chambre, nous avons déjà mené de grands débats sur la fiscalité. On ne commence donc pas de zéro. Depuis des années, les inégalités du système sont connues.
Il est grand temps de concrétiser cette réforme. On a toujours dit vouloir coopérer de manière constructive. Le scénario idéal serait qu’un large consensus, au-delà du monde politique, puisse être trouvé.
Vous avez critiqué le fait que la simplification administrative, prisée par le Premier ministre, ne sera pas suffisante pour s’attaquer à la pauvreté. Néanmoins, quel regard jetez-vous sur le changement de paradigme qui s’annonce pour faire profiter davantage de personnes éligibles des aides existantes ?
Se montrer choqué par l’ampleur du phénomène dans un pays aussi riche que le Luxembourg est pleinement justifié. La pauvreté des enfants inquiète aussi fortement. Le principe d’un guichet social unique est donc certainement intéressant.
Nous sommes favorables à une simplification administrative. Il n’est cependant pas approprié de miser uniquement sur un formulaire rempli à l’avance. L’objectif doit être de mieux faire connaître et rendre plus accessibles les aides existantes. Il s’agit d’un premier pas dans la bonne direction, mais il manque le deuxième. La lutte contre la pauvreté nécessite des mesures sociales très ciblées.
Le chef du gouvernement ne mise pas sur plus d’aides, mais sur une meilleure distribution. Est-ce justifié ?
Nous disons clairement oui à une meilleure distribution, mais il faut aussi prendre des mesures supplémentaires. On sait que le Luxembourg compte parmi les pays de la zone euro qui comptent le plus grand nombre de travailleurs pauvres.
C’est pourquoi nous plaidons pour une augmentation du salaire social minimum, qui doit aussi être exempté de tout impôt. Ensuite, pour lutter contre la pauvreté des enfants, on pourrait prévoir un complément pour les monoparentaux. Et puis, il faut concrétiser une adaptation du Revis (NDLR : ancien revenu minimum garanti) sur base de l’évaluation qui a été effectuée.
Il est toujours renvoyé vers le fait que près de la moitié des dépenses du budget de l’État sont consacrées aux prestations sociales. Les inégalités restent toutefois importantes. Que faudrait-il changer au-delà de la simplification annoncée ?
On nous reproche que l’on aurait pu faire mieux lorsqu’on était au gouvernement. En fait, nous avons pris des mesures. Mais il faut aujourd’hui constater en toute sincérité que les aides financières ne sont pas suffisantes. Il est nécessaire de s’attaquer davantage à la racine du problème.
Si l’on veut réduire à plus long terme le fossé entre les riches et les pauvres, il faut également se pencher sur l’éducation. Or le Premier ministre n’a eu aucun mot pour l’école et la formation. Rien d’étonnant en soi, vu que Luc Frieden reste d’avis que l’ascenseur social fonctionne principalement par l’héritage de patrimoine.
Le manque de logements abordables est un des principaux facteurs qui font glisser les ménages dans la pauvreté. Le Premier ministre annonce un plan d’action de dix points, encore une fois avec l’objectif de réduire la lourdeur administrative. Comment jugez-vous ces mesures ?
Le principe « le silence vaut accord » est une piste intéressante. Mais comme pour toute annonce de ce gouvernement, il faut d’abord savoir quelle en est la teneur exacte. Dans ce plan d’action se trouvent aussi d’autres éléments positifs, qui sont vendus comme neufs alors qu’ils reposent sur des initiatives que j’ai prises lorsque j’étais ministre de l’Intérieur.
Le remembrement ministériel en fait partie, tout comme la simplification des procédures pour développer les PAG et PAP. La taxe pour la mobilisation de terrains constructibles est une autre initiative que j’ai lancée. Je suis d’ailleurs contente que le Premier ministre ait confirmé vouloir mettre en œuvre cette taxe, sans toutefois mentionner la réforme de l’impôt foncier et de la taxe sur les logements inoccupés.
Il n’est pas dans mon intention d’aveuglément fustiger de bonnes mesures. Mais il est dommage que l’on n’ait pas l’honnêteté de préciser qu’elles sont l’œuvre de l’ancien gouvernement.
D’une manière plus globale, vous avez fustigé une déclaration assez faible du Premier ministre, truffée d’effets d’annonce. Comment justifiez-vous cette critique ?
Il est légitime que le Premier ministre n’ait pas pu présenter dans les moindres détails toutes les mesures annoncées. Le gouvernement n’est en place que depuis six mois. Il faut rester fair-play sur ce point. Mais le souci est que les ministres annoncent à tour de rôle des mesures et réformes sans les soumettre dans les délais avancés.
Le ministre du Travail voulait présenter en mars le projet de loi visant à transposer la directive européenne sur le salaire minimum. Avant l’été devait aussi être ficelé un texte sur la réforme des conventions collectives. Il en va de même pour l’adaptation du code pénal promise par la ministre de la Justice. Le temps presse.
Et puis, il est à déplorer qu’aucune date n’ait été annoncée mardi pour la finalisation du plan d’action de lutte contre la pauvreté, que nous attendons tous de pied ferme. Au moins, il devrait être possible d’avancer les grandes lignes des actions que l’on compte mener à court et à long terme. J’espère aussi que le ministre aura consulté les acteurs de terrain, qui sont les mieux placés pour nommer les problèmes existants.
Malgré toutes les critiques, vous avez à la fin de votre intervention affirmé que l’opposition et la majorité devraient être capables de travailler ensemble de manière constructive. Est-ce bien réaliste, connaissant les positions souvent inconciliables des deux camps ?
Je reste d’avis que l’opposition peut et doit se montrer constructive. Il ne suffit pas de déchirer en l’air tout ce que la majorité soumet à la Chambre. C’est pourquoi je tiens à ce que l’on émette des propositions alternatives.
Il est d’autant plus regrettable que les partis de la majorité aient rejeté en bloc nos motions, alors que le Premier ministre a affirmé se réjouir de tenir compte de l’apport venant des partis de l’opposition.
Je cite en exemple notre motion qui invite le gouvernement à vérifier, dans le cadre de l’élaboration du plan de lutte contre la pauvreté, des mesures comme la hausse du salaire social minimum. Le rejet est un affront. Cette approche est ridicule, car il va de toute façon analyser ces pistes.
Qu’en est-il de l’attitude du Premier ministre, qui avait dit se réjouir d’entendre les prises de position des différents partis ?
Je regrette que ni lui ni les ministres de tutelle n’aient livré des réponses à la multitude de questions. L’opposition s’est efforcée dans un délai très court de travailler sur le fond des annonces. Comme par hasard, les ministres présents avaient tous disparu lorsque le Premier ministre a livré sa réplique.
Il s’agit d’un indice du style paternaliste de Luc Frieden. Il est vraiment le CEO de ce gouvernement. Tout est concentré autour de sa personne. Les autres ministres n’ont le droit de parler que si le Premier ministre les autorise à le faire. Cela ne permet pas de mener un débat.
La déclaration sur l’état de la Nation vient en quelque sorte clôturer les six premiers mois du mandat de la coalition CSV-DP. Dès le départ, vous avez redouté une politique conservatrice-libérale. Cette crainte s’est-elle confirmée ?
Les deux partis mènent bien une politique conservatrice et néolibérale. On voit que les mesures prises visent à mettre en place un « État amaigri« . Ce concept nous prive de recettes qui sont à investir dans la politique sociale, dans la lutte contre la pauvreté ou dans le logement.
L’État est réduit au rôle de gentil facilitateur pour les entreprises et les gens qui se retrouvent face aux lois du marché. Cela ne correspond pas à nos valeurs. Nous estimons que l’État doit jouer un rôle plus fort, être prêt à tout moment à venir soutenir les gens en difficulté.
L’économie et le secteur financier nous importent aussi, contrairement à ce que d’aucuns affirment, mais le bien-être des gens doit primer sur la philosophie du « business first« et de la croissance absolue. Cela ne permet pas de rendre l’État plus résilient. Le gouvernement mise tout sur une seule carte. Si jamais cette stratégie échoue, on se retrouvera dans le pétrin.
Le gouvernement se défend en affirmant que l’État doit d’abord générer des recettes avant de pouvoir distribuer l’argent.
Comme je l’ai dit, il faut rendre l’État plus résilient. Oui, l’État social a un coût. Mais s’il faut dégager des moyens, il faut aller chercher l’argent où il se trouve, grâce à une réforme fiscale qui met plus fortement à contribution les mieux lotis de notre société.
Le LSAP vient d’enregistrer un sursaut aux élections européennes. S’agit-il d’une confirmation de votre travail d’opposition mené à la Chambre et de la politique sociale que défend votre parti?
Si l’on prend en considération les élections législatives et européennes, on constate que le LSAP a à chaque fois gagné en suffrages. La tendance est positive. Il se confirme que nos actions sont appréciées par les gens. Il s’agit d’une motivation pour la suite.
Le choix de donner une visibilité à des jeunes candidats et jeunes femmes fait ses preuves. On va poursuivre sur notre lancée. L’avenir est rouge et social. On voit que les gens veulent une politique menée avec le cœur.