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Tabac : «Ce n’est pas suffisant de travailler le prix, puis de négliger d’autres éléments»


Avec le projet «Génération sans tabac», Margot Heirendt, directrice de la Fondation Cancer, et Lex Schaul, professionnel en santé publique, privilégient d’autres leviers que le prix afin d’agir sur le tabagisme. (Photo : georges noesen)

La hausse des accises sur le tabac annoncée pour 2025 ne peut satisfaire la Fondation Cancer qui, elle, mise sur la prévention, la réduction de l’accessibilité et l’encadrement la publicité.

Fidèlement accroché à l’industrie du tabac, la première de son histoire avant la sidérurgie, le Luxembourg ne cesse d’être le supermarché des fumeurs frontaliers.

Début novembre, le journal néerlandais De Telegraaf racontait le succès grandissant du «Pafbus» qui, deux fois par mois, conduit des particuliers à la frontière luxembourgeoise afin d’acheter du tabac, poussés par la hausse des accises et un paquet à 11 euros.

Une preuve que l’augmentation du prix n’est pas une solution miracle face au tabagisme, l’addiction et la motivation des consommateurs pour fumer moins cher prenant le dessus. Pourtant, c’est ce levier que le gouvernement souhaite actionner.

Le 9 octobre dernier, Gilles Roth, ministre des Finances, a annoncé une hausse de 5,5 % des accises sur les cigarettes et le tabac à fumer à partir de 2025.

«Dans un souci de santé publique, l’objectif des autorités est de jouer sur une hausse des prix des paquets les plus accessibles afin de décourager notamment les jeunes de l’achat tout en générant des recettes», explique la commission des Finances.

Pour Lex Schaul, professionnel en santé publique pour la Fondation Cancer, cette hausse «est un pas dans la bonne direction, mais cela reste toujours insuffisant afin d’avoir une réelle réduction de la consommation».

10 % par an, un vœu pieux?

De 5,20 à 5,50 euros le paquet en janvier prochain, la hausse devrait augmenter les recettes de l’État mais n’a pas chamboulé les plans de la Fondation Cancer qui, elle, plaide pour une augmentation annuelle d’au moins 10 % dès 2024.

La culpabilité de vendre aussi peu cher est toujours aussi présente, pour les Luxembourgeois mais pas que. «Nous avons une responsabilité vis-à-vis des pays voisins, car cela favorise toujours l’achat transfrontalier.» De toute façon, «ce n’est pas suffisant de travailler le prix puis de négliger d’autres éléments», tire au clair Lex Schaul.

La Fondation Cancer prône une approche globale qui se retrouve dans sa stratégie «Génération sans tabac» lancée en mars 2023. Son but : permettre à une première génération de vivre dans un environnement sans fumée d’ici 2040.

Pour y parvenir, la prévention est la clé puisque «notre plus grande importance, ce sont les jeunes», insiste Margot Heirendt, directrice de la Fondation Cancer. D’autant plus que la consommation des jeunes Luxembourgeois augmente dangereusement (lire ci-contre).

Par conséquent, l’accessibilité du tabac sous toutes ses formes (e-cigarettes, puff, snus ou chicha), est à encadrer d’urgence selon les professionnels de santé, tout comme la publicité indirecte, «que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les séries». Tout en sachant que «le tabagisme passif est aussi nocif que le tabagisme actif», l’établissement d’utilité publique travaille aussi sur son projet «Communes sans tabac».

«Nous manquons de moyens»

Les fumeurs ne sont pas pour autant désignés coupables puisque la stratégie comprend également la volonté d’encadrer au mieux ceux qui souhaitent arrêter. Sur ce point, la Fondation Cancer, qui offre un suivi gratuit, déplore le manque d’investissement du pays.

Concernant le programme de sevrage national, «souvent ni les patients ni les médecins ne sont au courant de ce programme» et de façon générale, «nous manquons de moyens, de services et de professionnels». Lex Schaul pointe notamment du doigt l’absence de formation en tabacologie au Luxembourg.

En parallèle, le tabac représente 1,9 milliard de recettes en 2024 pour un coût inconnu en termes de prises en charge médicales. «Nous essayons toujours de savoir mais comme il y a beaucoup de recettes, on préfère se concentrer là-dessus que sur les dépenses de santé publique», déplore la directrice dont la Fondation a reçu 337 355 euros de subventions du ministère de la Santé en 2023.

Au pays du paquet à moins de 6 euros, «Génération sans tabac» d’ici 2040 est «un projet qui nous tient à cœur et nous y croyons». «Nous sommes sur une bonne voie parce qu’il y a quand même un gouvernement qui nous écoute», relativise Margot Heirendt, en référence au projet de loi n° 8333, actuellement en commission, pour lequel la Fondation Cancer a soumis son avis.

Initialement motivé par le retrait de certaines exemptions pour les produits du tabac chauffés, le projet de loi a été agrémenté par des réglementations sur les sachets de nicotine.

La Fondation Cancer en a donc profité afin de réclamer une interdiction totale de vente des sachets et des cigarettes jetables. En cas d’application, la lutte promet de continuer, car «nous sommes conscients que si nous interdisons un produit, l’industrie du tabac va en sortir d’autres».

Tabac : 1,9 milliard d’euros de recettes en 2028

Le 11 octobre dernier a eu lieu une entrevue entre la commission des Finances, l’administration des Douanes et Accises et l’administration des Contributions directes.

Avec une prévision de quelque 4,9 milliards de cigarettes vendues en 2024, la commission des Finances évoque «une énorme progression», 6 % plus importante que les estimations initiales.

Cela représente une recette annuelle de 1,4 milliard d’euros (TTC) qui est vouée à s’accroître dans le temps malgré la hausse des accises en 2025. Les prévisions tablent sur 1,6 milliard d’euros en 2025 et jusqu’à 1,9 milliard d’euros en 2028.