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Système de santé : des exclus toujours plus nombreux 


Depuis dix ans, l’ONG lutte afin d’offrir aux plus démunis un accès aux soins gratuit. (Photo : julien garroy)

Mercredi matin, l’ONG Médecins du Monde présentait son rapport d’activité pour l’année 2023. Elle en a profité pour insister sur l’introduction de la couverture universelle des soins de santé, un levier majeur afin de réduire l’inégalité d’accès aux soins présente au Luxembourg.

«Les inégalités sociétales sont en hausse, dans un pays qui est touché par de nombreuses crises. Le domaine de la santé n’y échappe pas», débute Bernard Thill, le président de Médecins du monde. Il poursuit sa pensée en égrenant les  chiffres provenant du rapport 2023 présenté hier. Le plus frappant est celui du nombre de bénéficiaires, 1 193, en hausse par rapport à l’an dernier. «Nos équipes ont réalisé 3 255 consultations médicales, un chiffre qui est en constante progression», regrette-t-il. En outre, 90 000 euros de médicament ont été distribués au millier de demandeurs, qui pour la moitié, n’avait alors jamais eu recours à l’organisme afin de bénéficier de soins.

Les salariés et bénévoles de l’ONG – qui a fêté ses dix ans d’existence en 2023 – espéraient une réduction du nombre d’interventions. Tout au contraire, les besoins sont de plus en plus importants et les demandes, quant à elles, difficiles à satisfaire. Comme chaque année, l’ONG a donc profité de l’occasion pour s’adresser aux responsables politiques.

«Ne pas légaliser la CUSS est une anomalie»

L’an dernier, déjà, Bernard Thill appelait à une profonde réflexion autour de la couverture universelle des soins de santé (CUSS). Lancé en octobre 2021, un projet pilote entend offrir aux personnes vulnérables et non couvertes par la sécurité sociale un accès aux soins, moyennant une affiliation à l’assurance maladie aux frais de l’État. Il s’adresse donc aux individus faisant face à des barrières tant financières qu’administratives. En effet, il est impossible de s’affilier à la sécurité sociale sans une adresse fixe au Grand-Duché. Un combat perdu d’avance, donc, pour toutes les personnes vivant dans la rue.

Malgré ce premier élément de réponse, le président a néanmoins demandé une aide en personnel afin de réaliser les dossiers administratifs, de plus en plus lourds. En vain. «Nous n’avons pas été entendus, et n’avons reçu aucun soutien», regrette Bernard Thill. Au total, 27 affiliations et 11 coaffiliations ont pu être réalisées, avant que les démarches ne soient mises sur stop, en raison d’un manque de ressources.

«Ne pas légaliser la CUSS est une anomalie, que l’on doit résoudre», argue Ralph Hanck, secrétaire du conseil d’administration de l’ONG. Par légalisation, ce dernier entend une transformation du projet en une loi inscrite dans la Constitution. Une manœuvre qui permettrait à tous un accès aux soins quelle que soit la classe sociale. «Un droit d’ailleurs inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme», comme le rappelle le rapport.

En outre, une telle disposition contribuerait à de profondes économies pour le système de santé luxembourgeois, estime Bernard Thill. «Lorsqu’un patient n’a pas accès à la sécurité sociale, il n’a pas accès non plus à la médecine préventive. C’est un non-sens, puisqu’on retarde la prise en charge de ces personnes, qui sont pour la plupart hospitalisées pour des raisons, à la base, évitables.»

Confronté à ce qu’il estime être une «incohérence», le président ne s’avoue pas encore battu. En attendant la légalisation tant souhaitée de la CUSS, Bernard Thill souhaite une simplification des procédures. «Les résidents qui peuvent être bénéficiaires de cette CUSS vivent, pour 97 % d’entre eux, sous le seuil de pauvreté. On parle ici de sans-abrisme, d’insalubrité et de conditions humaines déplorables.» Or l’un des critères déterminant quant à l’affiliation réside dans le projet de vie que dresse le demandeur.

«Ces personnes-là ne vivent pas : elles résistent. On leur demande d’expliciter leur projet de vie, alors qu’elles ne savent pas où loger le soir. Elles n’ont qu’un projet de survie. C’est un non-sens», regrette celui qui a été élu «Luxembourgeois de l’année 2022». D’autant que cette entrave à l’accès aux soins entraîne avec elle d’autres problèmes.

«Quelque chose en commun»

C’est le nom de la campagne de plaidoyer de Médecins du monde pour cet été 2024. L’ONG, par une communication réfléchie, espère réveiller l’opinion publique et politique quant aux urgences sociales touchant le Grand-Duché. Sur l’une des images qui feront partie du plan de communication, on peut apercevoir deux personnes assises sur un banc, sans aucun signe distinctif. Elles ont un point commun : être atteint de la tuberculose. Une différence les éloigne toutefois : l’une n’a pas accès à la sécurité sociale et ne sera probablement pas traitée pour cette maladie pourtant contagieuse et mortelle.

L’idée est de faire comprendre que les inégalités peuvent indirectement toucher l’entièreté de la population. «Une simple goutte de sueur ou une quinte de toux peuvent suffire à transmettre la tuberculose. Il faut faire comprendre que ces inégalités d’accès aux soins touchent les principaux concernés, mais pas seulement. Cela doit devenir un sujet de société», expose Brigitte Michaelis, responsable de la communication de Médecins du monde.

Augmentation des démarches sociales

«Un suivi avec une assistante sociale est un long processus, fatigant et souvent démotivant», présente Bernard Thill. L’ONG qu’il préside œuvre aussi au soutien social de la population démunie, vivant sous le seuil de pauvreté et subissant le sans-abrisme. Ici aussi, les besoins augmentent. En 2023, 2 515 demandes de démarche sociale ont été réalisées, contre 2 132 en 2022. Au total, 1 012 résidents en ont bénéficié. Selon Ralph Hanck, cette hausse s’explique par le fait que «le niveau de précarité et de pauvreté progresse sur notre sol. Certains de nos bénéficiaires travaillent la journée, mais dorment dehors ou dans leur voiture.»

Cette pauvreté en pleine croissance entraîne avec elle des troubles d’ordre psychologique. «Les problèmes sociaux sont à l’origine de tous les maux. Généralement, les bénéficiaires nous approchent par le prétexte de la santé, alors qu’elle n’est pas leur principale préoccupation», ajoute Bernard Thill.

Psychologues et assistants sociaux font donc partie intégrante des équipes, afin d’assister ces individus isolés et parfois en marge du système. «La sécurité du domicile permettrait à toute cette frange de la population de résoudre ses soucis et de répondre à ces troubles mentaux qui affectent sa vie.» Médecins du monde appelle donc de ses vœux la création d’un lieu d’hébergement de long terme pour toutes les personnes dites vulnérables, c’est-à-dire les sans domicile fixe atteints de pathologies chroniques ou vieillissants.

Le président de l’ONG avait déjà soumis cette idée il y a un an, sans résultat. Pour autant, il n’en démord pas : «Cela peut se faire par la construction de structures d’hébergement, mais pas seulement. Il faut que l’opinion publique se manifeste et se rende compte des conditions de vie de ces personnes. Nous sous-estimons grandement notre chance et nos privilèges.»