Notre enquête sur les conditions de travail des employés de Luxair nous amène à la question de leur sécurité, alors que les accidents se seraient multipliés ces deux dernières années.
Alors que le manque de bras et la désorganisation au sein d’équipes clairsemées rendent le travail quotidien extrêmement pénible aux 2 800 salariés de Luxair, dans le service de Paulo*, c’est le déploiement d’un nouveau système de distribution des tâches qui a tout chamboulé, à l’été 2020 : «Avant, on avait un planning clair tous les matins, on savait exactement comment allait se dérouler notre journée, explique-t-il. Et puis, ils ont mis en place ce nouveau système, censé être entièrement automatisé et rationaliser les tâches de l’équipe en temps réel.»
Concrètement, chaque employé du service dispose d’un téléphone sur lequel se succèdent notifications et appels pour lui confier différentes missions en fonction de l’activité du jour. Le hic, c’est que Luxair exploite ce système en configuration manuelle, via une cellule dédiée, qui répartit le travail à effectuer au fil des heures parmi les effectifs disponibles sur le terrain.
« Une série de tâches impossibles à tenir »
Résultat : les dysfonctionnements sont récurrents, comme les consignes incohérentes, tandis que la charge de travail devient écrasante. «Les tâches sont mal distribuées. Parfois certaines disparaissent alors qu’on les a commencées. On est envoyés aux quatre coins de l’aéroport sans aucune logique, avec beaucoup de perte de temps», raconte Paulo.
«Avec ce système, on est confrontés tous les jours à une série de tâches impossibles à tenir, chronométrées, sans parler des coups de fil incessants», déplore-t-il, témoignant d’une grande frustration de ne plus pouvoir «bien faire son travail».
Une pression énorme
D’après nos informations, la délégation du personnel aurait rapidement pointé ces problèmes auprès de la direction, alertant également sur le stress généré et les risques grandissants d’incidents, mais n’aurait pas été entendue. Moins de 24 heures après cette mise en garde, un grave accident du travail se produisait sur le tarmac.
Un drame qui a secoué Paulo et l’ensemble de ses collègues : «Ça aurait pu être n’importe lequel d’entre nous.» Pour autant, le système est resté en place et n’est toujours pas paramétré correctement. «Le téléphone sonne tout le temps, et si on ne répond pas, la cellule d’appel insiste, ou alors, on subit des reproches. Ça rajoute une énorme pression», raconte le père de famille.
«Je ne reconnais plus mes collègues»
Un poids qui pèse lourd sur la santé des travailleurs : «C’est difficilement supportable. Je n’ai aucun problème physique, mais aujourd’hui, mentalement, je suis épuisé. Je n’ai plus aucune patience, je suis nerveux, et c’est le cas pour tout le monde», observe le quadragénaire, qui décrit une ambiance délétère au sein de son équipe.
«Alors qu’on a toujours été unis, il y a de sérieuses tensions désormais. Mes collègues ont changé, je ne les reconnais plus. Il y a de l’agressivité, des conflits, et plus aucune entraide. Tout ça me rend infiniment triste», confie-t-il, les larmes aux yeux.
Travailler à nouveau sereinement
Pour lui, la flexibilité maximale prônée par la direction, tout comme la polyvalence à laquelle sont maintenant contraintes les équipes, nuit à l’entreprise et à sa qualité de service : «Des tâches supplémentaires qui ne relevaient pas de notre département jusque-là ont été ajoutées à nos missions habituelles, et depuis, la fatigue, les arrêts maladie et les accidents s’enchaînent. Et ça va continuer», prédit-il.
Paulo ne souhaite pas démissionner, il aimerait simplement pouvoir à nouveau travailler sereinement. Lui qui a parfois accumulé jusqu’à 250 heures mensuelles, lève désormais le pied, afin de se préserver. Il participera à la manifestation prévue le 26 septembre à l’appel des syndicats LCGB, OGBL et NGL-SNEP, en marge de la tripartite aviation, même s’il reconnaît avoir très peur d’y être vu.
* Prénom d’emprunt