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Stëmm vun der Strooss : la précarité pousse les murs


Chaque midi, les files d’attente sont toujours très importantes. (Photo : hervé montaigu)

Face au nombre toujours plus important de bénéficiaires, le site, situé dans le sud de la capitale, vient d’inaugurer une nouvelle structure d’accueil et de repos à destination des personnes précaires.

Un peu moins d’une heure avant le coup d’envoi du service du midi, dans les cuisines, on prépare déjà le déjeuner. Au menu : du poulet accompagné de frites. Si l’effervescence se fait sentir, c’est aussi pour une autre raison. Ce matin-là, le site de la Stëmm vun der Strooss d’Hollerich accueille le Grand-Duc Henri et la Grande-Duchesse Maria-Teresa. L’occasion pour l’association de leur présenter la structure qu’ils connaissent bien, mais aussi de leur dévoiler la nouvelle extension du restaurant social.

Ouvert depuis décembre, ce nouvel espace d’une capacité d’accueil de 90 personnes offre aux bénéficiaires de l’ASBL une zone de détente et de repos adaptée. Des tables, chaises et poufs ont été ajoutés pour permettre aux bénéficiaires de se reposer, au chaud. De plus, trois bureaux ont été ajoutés dans le but d’accueillir un coiffeur, des médecins bénévoles, une assistance sociale et un service dédié aux enfants. Des repas supplémentaires pourront également être servis à cet endroit. «En raison de l’absence d’un espace approprié, les bénéficiaires avaient l’habitude de patienter à l’intérieur du restaurant ou même dehors.

Cet agrandissement permet un soulagement important dans la salle de restauration de Hollerich, mais aussi d’éviter les files d’attente dehors où nous avons parfois des conflits», explique Alexandra Oxacelay, la directrice de la Stëmm vun der Strooss. Un budget total de 320 000 euros a été nécessaire pour permettre la réalisation de cette extension. «Tout a été financé entièrement par des dons. Nous avons, par ailleurs, eu la chance d’avoir une proposition de mise à disposition gratuite de ce local pendant les dix prochaines années par le propriétaire de l’immeuble. C’est un cadeau du ciel», s’enthousiasme la directrice de l’ASBL.

Le Grand-Duc Henri a visité, hier, le plus restaurant social de la Stëmm vun der Strooss, à Hollerich.

Des travailleurs pauvres plus nombreux

Ce projet, qui ouvre la voie à l’amélioration des conditions d’accueil des personnes modestes au Luxembourg, répond aussi à une demande de plus en plus forte. En effet, le restaurant de Hollerich, qui sert chaque jour 400 repas, avait besoin d’un espace plus grand et plus adapté. Car en une année, la fréquentation a explosé. Le nombre de repas servis dans cette antenne de la capitale a progressé de 214 % en dix ans. Au total, en 2024, 102 307 repas ont été distribués, contre 78 661 en 2023.

Une explosion de la précarité qui s’explique, selon Alexandra Oxacelay, par plusieurs facteurs. «Nous n’avons pas d’études précises pour l’affirmer, mais on suppose que l’inflation, la guerre en Ukraine, l’immigration, accentuent le phénomène de la précarité. Depuis la crise sanitaire, le profil des bénéficiaires a aussi changé. Nous voyons de plus en plus de travailleurs pauvres. Avec la flambée du prix des loyers, ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts, et sont obligés de venir chez nous.»

Avec la flambée du prix des loyers, ils n’arrivent plus à joindre les deux bouts

De manière globale, la fréquentation de l’antenne d’Hollerich reste en constante augmentation, notamment depuis trois ans. En 2022, 4 885 personnes ont accédé aux différents services du site du sud de la capitale, contre 8 275 en 2024. En dix ans, la progression a explosé et s’établit à 410 %. Et cette hausse de la fréquentation, la Stëmm vun der Strooss l’observe également sur l’ensemble de ses neuf sites. L’année dernière, l’association a servi, au total, 243 619 repas, soit une augmentation de 23 % par rapport à 2023.

Qui sont les bénéficiaires de la Stëmm?

D’après l’association solidaire, la clientèle se compose principalement de Portugais (15,6 %), suivis de Luxembourgeois (10,8 %). Les réfugiés ukrainiens, présents depuis 2022 sur les sites de la Stëmm, représentent la troisième nationalité la plus importante (7,4 %). L’ASBL compte des Roumains, des Espagnols, des Français et des Italiens. Chaque communauté représente environ 5 % du nombre total de bénéficiaires.

«Les 50 % restant proviennent de 160 autres nationalités (…). De plus, si nous observons, au fil du temps, une diminution de la part de Luxembourgeois, en termes de nombre absolu, nous notons une augmentation du nombre de résidents», précise l’ASBL. Parmi les bénéficiaires, on trouve 78 % d’hommes avec une moyenne d’âge autour de 41 ans. Enfin, 9,1 % des bénéficiaires ont entre 18 et 25 ans et 4,6 % sont des mineurs. Pour les deux catégories, les chiffres sont en augmentation depuis 2022.

«En 2024, l’activité des restaurants sociaux a atteint un triste record. C’est la troisième fois que nous affichons une augmentation de notre fréquentation. Cette affluence exponentielle nous laisse penser que l’ouverture d’un restaurant social à Luxembourg serait plus que nécessaire», écrit l’ASBL dans son communiqué. Un nouveau projet, auquel d’autres pourraient encore s’ajouter sur la longue liste de la Stëmm vun der Strooss. Une extension du restaurant social d’Ettelbruck est jugée aujourd’hui indispensable par l’association. Prévu pour un besoin journalier de 50 repas, le site du nord du Luxembourg sert, en moyenne, le double de repas. Trop petit, l’établissement peine à développer d’autres services.

Trois bénéficiaires, trois histoires

Ils ont accepté de nous partager leur quotidien difficile.

À peine quelques minutes avant le premier service du midi, les bénéficiaires affluent déjà à l’intérieur du restaurant. À l’extérieur, la file d’attente s’allonge au fil des minutes. Parmi les premiers arrivés, nous croisons Vicristi, un jeune Italien de 26 ans. Depuis quatre ans, le jeune homme vit au Luxembourg. «Je suis venu ici pour une relation amoureuse. Je me suis retrouvé dans la rue pour diverses raisons. Heureusement, je suis hébergé parfois par une amie. En Italie, j’avais un travail dans le domaine de la sécurité. Aujourd’hui, je voudrais changer de vie et quitter la rue. J’aimerais travailler comme éducateur pour, justement, aider les gens comme moi à sortir de la pauvreté», confie-t-il. Alors, tous les jours, il vient à la Stëmm vun der Strooss pour manger son repas du midi. «L’ambiance est conviviale, on mange bien, et c’est un endroit propre.»

La rue, Binesu la connaît très bien. Ce Cap-Verdien, arrivé il y a vingt ans au Luxembourg est, lui aussi, sans domicile fixe. «Avant, je travaillais en tant que cuisinier. Mais depuis que je suis à la rue, je n’ai pas d’adresse, plus rien, alors c’est très difficile de trouver un travail», regrette-t-il. Pour lui, l’aide de la Stëmm vun der Strooss est indispensable dans sa vie. «Je ne sais pas ce que je mangerais sans ça. C’est mon repas principal. Le soir, je me débrouille pour trouver quelque chose.» Pour le bénéficiaire, ce moment qui ne dure que quelques heures reste un instant privilégié dans son quotidien difficile. «Dans la rue, la vie n’est pas simple. Il y a très souvent des agressions», explique-t-il.

Derrière lui, Janson, a, lui aussi, commencé son repas du jour. Originaire de Gambie, le jeune homme de 21 ans est arrivé au Luxembourg il y a quatre mois, pour des raisons de santé. Aujourd’hui, il vit à la Maison du retour, située dans le quartier du Kirchberg. Toujours dans l’attente d’une décision pour régler sa situation personnelle, il essaie tant bien que mal de s’intégrer. «Je vais souvent dans les bibliothèques ou les associations culturelles. Le quotidien n’est pas simple, mais on essaie de faire avec, et on trouve toujours, ici, beaucoup de réconfort», sourit-il.